Découvrir Hunter X Hunter en 2023 et avoir le privilège de s'envoyer les 37 tomes d'affilée, sans en savoir grand chose, fut une sacrée chance que j'ai savourée un peu plus à chaque tome qui passe.
Tout n'y est pas parfait, bien sûr, ça reste un Shonen avant tout, difficile d'accrocher à des héros qui ont 35 ans de moins que moi, (ouch), de quoi se poser la question : est-ce que ça valait le temps et l'argent investi ?
Absolument.
Un titre atypique, pétri d'influences illustres autant qu'assumées, qu'on pourrait résumer ainsi : "Goten et Trunks s'inscrivent au Liar Game pour développer leurs Stands et devenir Rois des Pirates".
Et ça fonctionne, pour plusieurs raisons :
- Le style graphique, d'abord, tantôt hyper soigné et détaillé, tantôt rough, sale, comme encré au Bic (et en ce qui me concerne, ce sont mes planches préférées), d'une viscéralité à nulle autre pareil.
- L'inventivité et la richesse d'un univers à la fois très naïf et très noir.
- Les règles rigoureuses et clairement explicitées qui régissent les pouvoirs, les combats, les épreuves. Ici, pas de course à la superpuissance avec des cheveux qui changent de couleur, chacune de cinq formes d'énergie est explicitée, rationalisée, contextualisée. Fan de jeux de société et ayant longtemps rêvé d'en créer un lui-même, l'auteur développe chaque point de détail surnaturel avec un luxe de détails vertigineux, de même que rares sont les confrontations qui reposent uniquement sur la force brute. Non seulement ça mais aucune forme de pouvoir n'est ultime : toutes ont leurs failles et leurs limites, qui sont conditionnées par l'expérience et l'inventivité des personnages qui les utilisent.
- Le refus affirmé de se calquer sur les règles classiques du Shonen : les personnages principaux peuvent disparaître à tout moment du récit sans qu'on ne les revoit pendant plusieurs (dizaines de) tomes, voire plusieurs arcs, ils sont rarement ceux qui arrivent à vaincre la menace ultime (qui, du reste, n'est que rarement vaincue, et encore plus rarement "à la régulière" - à cet égard, le dénouement de l'arc Chimera Ants est assez traumatisant), les combats finaux attendus ne se concrétisent jamais, d'autres sont coupés en plein milieu, ou pris en route, les ellipses fusent, les personnages secondaires importants se multiplient (on en compte plusieurs centaines), le récit finit par en être prévisible en cela qu'on sait qu'il n'ira jamais où il serait censé aller dans un titre classique, mais ça ne gâche pas le plaisir de la lecture, au contraire.
- Le récit n'a pas de tabou : ni les enfants, ni les personnages principaux sont à l'abri d'un sort aussi funeste que brutal. Personne n'est à l'abri. La tension est permanente.
- Après 37 volumes, on ne sait toujours pas si Kurapika est un garçon ou une fille, et on s'en fout.
- Les arcs se suivent et ne se ressemblent pas : après un début classique, on passe à un règlement de compte mafieux dans une vente aux enchères, la participation à un jeu vidéo mortel (à base de cartes, dont l'auteur à imaginé la totalité avec là encore effets et limitations, que chaque clan de personnages exploite à tout moment), l'invasion d'un super-prédateur, une course poursuite fratricide sur fond de malédiction familiale, les prémices d'une exploration ô combien prometteuse et une guerre de succession vertigineuse en huis-clos impliquant une quinzaine de participants, chacun nanti d'une capacité spéciale secrète, d'une dizaine de garde du corps et de soldats d'élite dont certains ont leur propre technique spéciale unique, tandis que trois clans mafieux se livrent une lutte de pouvoir répartie sur cinq niveaux, et incluant en prime la vendetta personnelle d'un groupe de mercenaire hors clan. Rien que cet arc convoque des centaines de personnages différents dont on s'efforce tant bien que mal de retenir les allégeances et les capacités, en vain, tandis que les stratégies et soupçons se développent dans des pavés de textes comme on en a rarement vu dans un manga. Le tout, sans qu'aucun des deux héros ne participe, l'intrigue étant menée par un de leurs amis qu'on n'avait pas revu depuis le volume 12. Du génie. Mais il faut s'accrocher.
On regrettera alors que l'auteur souffre tant du dos (sur certains volumes de l'arc Chimera Ants, sa souffrance se ressent dans ses planches et force le respect autant qu'elle fait mal au coeur), et de devoir vraisemblablement faire une croix sur la fin de ce dernier arc, qui semble parti pour durer encore une bonne dizaine de tomes au bas mot. On regrettera également que l'arc exploratoire, qu'on entrevoit le temps d'un tome et qui était riche de promesses propre à bouleverser complètement l'univers de ce manga (il m'a vraiment scotché) soit condamné à ne jamais voir le jour, et on s'en consolera un peu en lisant UltraMarine Magmell, qu'on peut considérer sur le fond comme la forme comme les prémices de cet acte manquant, et sans démériter s'il vous plaît (mais dont la publication a malheureusement été interrompue chez nous, argl).
Alors, Hunter X Hunter, meilleur shonen de tous les temps ? En tout cas, il est sans forcer dans le trio de tête, et rivalise dans mon coeur avec One Piece, ce qui n'est pas rien.
Coeur avec le Nen.