Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2014, écrits par Jason Aaron, dessinés, encrés et mis en couleurs par Jason Latour, avec l'aide de Rico Renzi pour la mise en couleurs des épisodes 1 & 2. Il comprend une courte introduction d'Aaron et une autre de Latour (les 2 tenant sur une page) expliquant leur rapport au Sud. Il comprend également les couvertures originales réalisées par Latour, ainsi que les couvertures variantes de R.M. Guéra, James Harren, Chris Brunner. En fin de tome se trouve la recette de l'Apple Pie de la mère de Jason Aaron, ainsi que 4 pages d'études graphiques de Latour.


À l'entrée de la ville de Craw County, 3 panneaux indiquent la présence d'autant d'églises différentes. Un chien errant est en train de faire une grosse commission devant. Un véhicule utilitaire de location passe sur la route, son conducteur indiquant à la messagerie de son interlocuteur qu'il ne compte pas rester plus de 3 jours sur place, juste le temps de s'occuper des affaires d'oncle Buhl qui a été placé dans une maison de retraite. Earl Tubb passe par la grand rue de la ville et voit les enseignes de la banque Compson, de la quincaillerie Boss, du bar Boss. Il se demande qui peut bien être ce Boss. Il arrive enfin à la maison de son oncle qui se trouve un peu à l'écart de la ville. Il se recueille un instant devant la pierre tombale de son père Bertrand Tubb, 1923-1972. Il se souvient de son père avec une batte de baseball à la main. Il se rend compte qu'un arbre a eu le temps de pousser au-dessus de la tombe de son père depuis la dernière fois qu'il est venu s'y recueillir. Il pénètre dans la maison, et retrouve la coupure de journal encadrée, annonçant la mort de son père en tant que shérif abattu par balle. C'est le premier cadre qu'il décroche pour commencer à ranger.


Le lendemain il se rend au diner Boss BBQ pour prendre son petit déjeuner à base de côtes levées de porc (Ribs). La serveuse Shawna essaye de l'intéresser à d'autres éléments du menu. Elle est grossièrement interrompue par Dusty Tutwiler qui lui demande si Boss est arrivé. La réponse étant négative, il se fait servir une bière et une part de tarte de noix de Pécan. Sans gêne, il commencer à interpeller Earl Tubb et finit par le reconnaître, ce qui le surprend car ça fait 40 ans qu'Earl est parti vivre en banlieue de Birmingham, la grande ville la plus proche. Autrefois, Earl jouait dans l'équipe de football américain de la ville. Dusty conseille à Earl de partir de la ville le plus vite possible. Dehors, Esaw Goings est en train de se soulager en pleine rue, absolument pas gêné par 2 jeunes filles et leur mère qui passent. Le chien errant venant l'importuner, il dirige son jet d'urine sur son œil. Alors qu'il vient de finir, Materhead (Eugene Maples) vient le prévenir que Dusty Tutwiler est à l'intérieur du diner. Les 2 lascars passent par l'arrière, et Shawna informe Dusty que Boss l'attend en cuisine. Il y va et se fait piéger par Esaw Goings qui le menace et s'apprête à le cogner pour une histoire de dette. En entendant Dusty hurler, le sang d'Earl Tubb ne fait qu'un tour et il se précipite dans la cuisine pour faire cesser la bastonnade.


En 2012, Jason Aaron & R/M Guéra mettent un point final à la série Scalped (2007-2012) publiée par Vertigo, et le scénariste s'en va écrire des histoires de superhéros pour Marvel. Le lecteur se jette donc littéralement sur Southern Bastards qui marque le retour 2 ans plus tard de Jason Aaron au polar poisseux, à connotation sociale et anthropologique, cette fois-ci focalisée sur le Sud des États-Unis, et plus dans une réserve indienne. L'année d'après, il se jette sur The goddamned, série pour laquelle le tandem Aaron + Guéra se reforme. En feuilletant rapidement ce premier tome, le lecteur ne peut que constater l'écart qui existe entre les dessins sophistiqués de Guéra et ceux plus directs et plus dépouillés de Latour. Il constate également que ce premier tome ne contient que 4 épisodes ce qui fait peu pour se faire une idée sur la série. En outre, les auteurs ne donnent pas d'indication sur le nombre total d'épisodes que comptera la série. Il n'est donc pas possible d'établir une comparaison argumentée entre Southern Bastards et Scalped. Ce premier tome se focalise sur Earl Tubb qui est présent à presque toutes les pages. Le lecteur découvre qu'il a fait la guerre du Vietnam, ce qui implique qu'il doit avoir environ 60 ans au moment du récit, ou peut-être un peu plus. C'est resté une force de la nature, un colosse musclé, avec encore quelques cheveux blancs sur le haut de la tête et une moustache blanche. Les dessins montrent bien sa forte carrure, son nez cassé, les rides de son visage.


Au fil des séquences, Earl Tubb retrouve des individus qu'il a côtoyé par le passé et le lecteur découvre des visages marqués, sans pour autant qu'il s'agisse de trognes caricaturales. Le premier à apparaître est le chien errant, pouilleux à souhait, hargneux vis-à-vis des étrangers. Le dessinateur a l'art et la manière pour montrer sa gueule béante, ses dents menaçantes et la salive qui s'en échappe, dressant le portrait d'un chien fou et agressif. Le lecteur rencontre ensuite Shawna la serveuse dans le diner : une femme d'une quarantaine d'années, bien conservée, vaguement pressante dans sa manière de proposer un autre plat, l'artiste laissant planer un doute sur ce qui la motive à se comporter de cette manière. Vient ensuite Dusty Tutwiler au visage bien marqué par l'âge, au dos légèrement vouté, à la langue bien pendue. En regardant son langage corporel, le lecteur voit qu'il s'agit d'une assurance de façade, d'une morgue pour donner le change. Effectivement cette première séquence montre également à quel point il est dans la panade. La présentation d'Esaw Goings pose le personnage dès la première page, avec son indifférence aux autres, sa condescendance vis-à-vis de Materhead (Eugene Maples), son tatouage énorme sur le cou, son recours immédiat à la violence, et son expression de défi quand il se fait tabasser par Earl Tubb. À nouveau les dessins de Jason Latour font apparaître le caractère du personnage dans son apparence et sa façon de se comporter.


En commençant l'histoire, le lecteur se dit que le premier personnage qu'il aperçoit doit être le héros. Earl Tubb revient dans la ville où il a grandi pour une affaire de famille, et reste pour régler un petit problème parce qu'il ne peut pas fermer les yeux devant la maltraitance des plus faibles. Aaron intègre l'un de ses thèmes favoris qui est celui de l'héritage, de l'incidence du comportement du père sur le fils. Ce thème est d'ailleurs mis en abyme avec la dernière séquence de ce premier tome. Il est indéniable qu'Earl Tubb vient en aide à un individu qui va se faire molester parce qu'il est plus faible, et cette situation est encore aggravée par la deuxième agression. Aaron & Latour jouent sur le motif de la transmission, également de manière visuelle, quand Earl Tubb s'attaque à l'a hache à l'arbre qui a poussé au-dessus de la tombe de son père, ou encore quand il hérite d'une version de sa batte de baseball. L'artiste choisit des angles de vue dramatisant chacune de ces 2 situations, et ses dessins assez secs et rugueux en accentuent encore l'aspect primal, jusqu'à leur donner une dimension mythologique.


Dans le même temps, les auteurs introduisent le doute dans l'esprit du lecteur quant à l'équilibre mental d'Earl Tubb. Il téléphone régulièrement à quelqu'un qui ne répond jamais, tombant toujours sur sa boîte vocale. Or à chaque fois qu'il passe un de ces coups de fil, le lecteur peut voir que son visage est plus détendu, et qu'il parle de manière posée, expliquant ce qu'il fait. D'un côté, c'est un dispositif narratif pratique pour que le personnage délivre des informations au lecteur, de manière naturelle. D'un autre côté, le lecteur finit par éprouver des doutes sur l'existence de cet interlocuteur qui ne répond jamais. Le doute continue de s'insinuer quand le lecteur voit la détermination farouche avec laquelle Earl Tubb s'avance dans la ville pour faire usage de sa batte afin de se venger. Les dessins montrent un vieil homme que rien ne ramènera à la raison, pas même l'avis du plus grand nombre. À nouveau, le lecteur se demande si ce personnage a bien toute sa raison, si la violence qu'il exerce constitue une réponse pertinente ou réfléchie. À nouveau le montage visuel des cases impressionne par sa sécheresse et ses économies de moyen. Jason Latour opte pour une narration qui prend à la gorge, à l'instar du comportement littéral du chien errant. Du coup, ledit chien devient une métaphore d'Earl Tubb, mais aussi d'autres personnages, à commencer par Esaw Goings.


Même s'il peut continuer de regretter la précision et le pouvoir évocateur des dessins de RM Guéra, le lecteur constate que Jason Latour réalise un travail des plus convaincants pour donner à voir le Sud. Il peut observer les côtes levées de porc, les tenues vestimentaires assez connotées milieu rural, le diner fonctionnel et un peu défraîchi, des boucles de ceinturon massives, un quad, des pickups suréquipés, un tatouage du drapeau sudiste, un vieux avec sa glacière dans son transat sur le trottoir, etc. Il ne s'agit pas d'une forme de tourisme divertissant, mais d'un quotidien banal bien restitué. Cette capacité à transcrire l'ordinaire se retrouve dans la description du match de baseball sur une demi-douzaine de pages de l'épisode 2. Le lecteur peut voir les joueurs mettre du cœur à l'ouvrage, mais aussi l'implication des spectateurs dans la force des attaques, la vigueur des chocs, comme une forme légèrement plus civilisée (mais pas de beaucoup) des jeux du cirque.


Avant d'entamer ce tome, le lecteur doit faire le deuil de la fin de la série Scalped, et accepter de découvrir une nouvelle série de Jason Aaron, avec d'autres caractéristiques, et un autre dessinateur. Une fois cet effort effectué, il découvre l'équivalent d'un premier chapitre qui tient sa promesse de le plonger dans un Sud poisseux, dans une petite ville où il règne un esprit de clocher pernicieux. Il retrouve 2 thèmes de prédilection du scénariste : la transmission de père en fils (surtout dans ses mauvais côtés) et le poids de la violence. Il découvre des dessins un peu lâches, un peu simplifiés dans leur façon de représenter, mais installant une personnalité graphique et narrative très forte. Petit à petit, il se rend compte que Jason Latour installe une ambiance très dense, avec des découpages de planches d'une efficacité brutale.

Presence
9
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le 23 juil. 2019

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