Quarante six ! Quarante six pages ! C’est le nombre de pages qu’il aura suffit à Alan Moore pour nous offrir l’un des plus intenses, des plus cornéliens tête-à-tête entre Batman et son meilleur ennemi. Quarante six pages pour permettre, une fois de plus, à Alan Moore de nous émerveiller.
Le Joker s’est à nouveau échappé de l’asile d’Arkham. Il a cette fois pour objectif de prouver la capacité de n’importe quel être humain de sombrer dans la folie après un traumatisme. Pour sa démonstration, il capture le commissaire Gordon et le soumet aux pires tortures que l’on puisse imaginer, à commencer par s’attaquer à sa chère fille, Barbara Gordon. (Contenu : Batman — The Killing Joke Deluxe Edition)
Batman apprend que le Joker s’est de nouveau évadé de l’asile d’Arkham ! L’éternel jeu de du chat et de la souris recommence donc à nouveau. Et Batman se demande, s’interroge sur comment cela finira entre eux deux. Il y a-t-il un autre terminus que la mort qui les attend dans leur lutte permanente ?
Mais ce n’est pour une énième confrontation lambda qu’Alan Moore permet au Joker de s’évader, non, loin de là. Son Joker veut prouver que ce qu’il est, est un simple concours de circonstances, que cela aurait pu être n’importe qui à sa place. Et nous comprenons cela grâce à une suite de flashbacks, où nous découvrons le vrai visage de celui qui allait devenir le Joker, et comment une suite de mauvais évènements l’on conduit à devenir celui qu’il est aujourd’hui. Véritables origines, ou une de plus sortie de l’esprit tordu du Joker, à chacun de voir ce qu’il souhaite.
Ces flashbacks merveilleusement mis en image par Brian Bolland ! Si Killing Joke est une pure réussite grâce à Alan Moore, c’est une perfection niveau graphisme grâce à Bolland. Rien que ses dessins donnent la note maximale au titre. Ses flashbacks sur le Joker en noir et blanc, avec quelques rares objets dans les tons rouge afin de donner une importance toute particulière au casque de Red Hood. Tout est maîtrisé du début à la fin ! L’agression de Barbara est tellement bien retranscrite, tout est là, la surprise, l’ambiance tragique et glauque, le découpage adéquat. C’est simple, on se croirait au cinéma, des arrêts sur images d’un vieux polar d’antan. L’action est fluide, limpide et ne souffre d’aucun défaut.
Un style old school qui est un ravissement pour les yeux ! Ses personnages sont en adéquation parfaite avec ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent. Batman est grand, massif, brutal et cache ses failles sous un costumes terrifiant lui servant à être impassible, s’empêchant toute excentricité. Le Joker est maigrelet, semble fragile, fou, déjanté et caches ses failles sous son costume de clown lui servant à faire le pitre et ne pas se prendre au sérieux.
Le Joker s’échappe donc, et décide de montrer que chacun peut être le Joker, s’il vit les mêmes choses que lui. Et sa cible sera le commissaire Gordon. Après avoir tiré sur sa fille à bout portant sous ses yeux, Gordon va vivre une expérience traumatisante, malsaine, dérangeante et absolument insoutenable pour n’importe quel père, humiliante pour n’importe quel homme. Le Joker veut le faire craquer, il veut le voir se transformer comme lui s’est transformer en perdant les êtres les plus chers à son cœur avant de perdre son visage et sa raison.
Bien entendu, Gordon peut compter sur Batman, qui a son tour va avoir le droit à un monologue du Joker, laissant supposer que Batman est tout aussi fou que lui, mais ne l’accepte pas, ou pire ne le sait même pas. Les deux meilleurs ennemis se retrouverons alors face à face, et le Joker ira à raconter une blague à Batman, et tous deux se laissant aller à rire de bon cœur comme deux amis de longue date. Alan Moore arrêtant son récit là-dessus, laissant aux lecteurs tout le loisir de penser, d’imaginer la fin qu’ils veulent. Grant Morrison, dira en 2013, qu’en fait pour lui, Batman tuerait le Joker après cette blague. Ce qu’il en est vraiment, nous ne le saurons jamais. Cela est la propriété de chacun. Chacun ayant sa vision des choses.
Que dire si ce n’est que c’est un classique, que c’est culte, que c’est admirablement bien écrit et pensé, que c’est parfait au niveau des dessins, qu’Alan Moore nous offre une confrontation entre Batman et le Joker jamais vue et que l’on ne reverra jamais, qu’Alan Moore nous présente un Joker terriblement malsain, complètement fou et totalement déjanté. Du moins en apparence, peut-être. Avec Killing Joke, nous sommes en droit de nous demander si le Joker n’est pas tout simplement malheureux, et s’il ne cache pas cette tristesse sous un humour détestable afin de se venger du reste du monde, de se venger d’avoir vécu tout ça et d’être devenu celui qu’il est. Triste et pas seulement fou donc, il ferait tout cela en pleine conscience ! Cela le rend sans doute encore plus dangereux et plus néfaste !
Une superbe édition, avec la version recolorisée par Brian Bolland, une histoire courte de Bolland lui-même, où un anonyme se rêve en étant l’assassin de Batman, une préface de Tim Sale, les mots de Brian Bolland lui-même, une flopée de couvertures, des croquis…
Bref, Killing Joke offre la plus belle confrontation entre Batman et le Joker, des scènes chocs et violentes, une fin ouverte, des origines intenses, une œuvre qui se doit d’être dans votre bibliothèque ! Alan Moore nous offre sans doute le Joker le plus fous que l’on puisse voir mais également le plus humain.