Après une première trilogie bourrée de défauts (Au pays des Soviets, Au Congo, En Amérique), puis un virage à 180 degrés pour offrir deux excellents albums (Les Cigares du Pharaon, Le Lotus Bleu), autant dire que Hergé était attendu au tournant pour la sixième aventure de Tintin. Pari réussi ? Euh ... pas vraiment.
L’Oreille cassée est l’une des rares intrigues de Tintin qui ne m’ait jamais intéressé : Hergé ne sait pas où il va.
L’album est découpé en trois parties à peine reliées entre elles, on croit davantage voir trois histoires indépendantes hâtivement collées au montage. Une première enquête à Bruxelles, sur les traces d’un fétiche disparu ; puis deuxième temps, on décolle pour l’Amérique du sud, on oublie le fétiche, et on passe à la dénonciation du conflit Bolivie/Paraguay ; enfin, troisième segment, départ pour la jungle, le fétiche réapparaît, et on bâcle la conclusion de l’intrigue en trois pages... décevant.
Scénario raté ? Il y a un angle plus optimiste : après le Lotus Bleu et sa dénonciation politique frontale, Hergé a compris qu’il valait mieux travestir son message au milieu d’aventures, changer les noms, et jouer sur le sens caché. L’Oreille cassée semble ne valoir que pour sa dénonciation des pratiques guerrières des dictatures d’Amérique du Sud (renommées pour le coup avec des noms rigolos), et Hergé aurait emballé tout cela dans une quelconque histoire de fétiche (et beaucoup d’humour) pour éviter des pressions.
Cela explique que les personnages secondaires en Amérique du Sud soient ici très fouillés (Alcazar, auquel Hergé est attaché, on le retrouvera plus tard ; ou Basil Bazaroff le marchand d’armes, réplique de Basil Zaharoff, bien réel lui). A l’inverse, les personnages entourant l’intrigue du fétiche sont assez maigres (le milliardaire américain, peut-être le pire deus ex machina dans la carrière d’Hergé...).
Bilan, une intrigue moins riche que Les Cigares du Pharaon, un message politique plus prudent que le Lotus Bleu. Et même des relents de Tintin au Congo dans la représentation des Indiens Arumbayas (le sorcier qui veut chasser le blanc, cela ne vous rappelle rien ?). Un album en demi-teinte, avec des rebondissements improbables et des running gags qui rappellent (malheureusement ...) les premiers opus.
On se souviendra de l’Oreille cassée comme le premier album dans lequel Hergé dénonce une situation historique réelle en la recréant dans des pays fictifs. En quelque sorte, on a sous les yeux le brouillon du Sceptre d’Ottokar, qui reprendra le même principe, mais avec beaucoup plus de succès !