Première BD de son auteur et peut-être un succès empoisonné
Coup de cœur de beaucoup de librairies spécialisées, succès auprès du lectorat habituel de BD d'auteur, prix du public à Angoulême... Une ovation pour Julie Maroh ! Un accueil bien mérité au vue de la maturité narrative de cette première BD, fruit d'un travail de très longue haleine.
"Le bleu est une couleur chaude" explore avec beaucoup de justesse émotionnelle le thème de l'homosexualité, pourtant réputé très casse-gueule et plus encore celui du sentiment amoureux, guère plus simple.
Côté graphique, le dessin manque franchement de précision, d'assurance. Mais c'est secondaire pour cette BD-là puisque tout est dans l'expression des mains et des yeux. Et cette attention particulièrement pour le regard et la sensualité des mains crée un sentiment de proximité et d'empathie avec les amoureuses, tout comme le choix de rythme, de cadrages et des couleurs. C'est épuré, sensible, pudique. Ici on laisse la place nécessaire à l'épanouissement des relations entre les personnages, aux sentiments et aux non-dits. Tout est exprimé dans le chuchotement de ce trait encore maladroit qui, paradoxalement, souligne à merveille les troubles et questionnements qui habitent Clémentine, le personnage central.
Le vertige amoureux est si bien décrit que s'il n'y avait les innombrables embuches qu'Emma et Clem trouvent sur leur route, on en viendrait presque à occulter le fait qu'il s'agit d'un couple "hors-norme" pour ne s'attacher qu'à ce qu'elles sont, elles et ce qu'elles ressentent.
Je crois que c'est finalement le vrai défi relevé par cet album : avoir réussi à reléguer le thème de l'homosexualité au rang de "simple" embûche dans la quête de bonheur d'un couple.
Le revers de la médaille, c'est qu'avec "Le bleu est une couleur chaude" la miss Maroh a placé la barre très haut en terme de maîtrise de l'art de raconter une histoire et des émotions. On espère que ce succès soudain ne sera pas trop difficile à gérer pour elle par la suite, que cela ne l'enfermera pas dans la répétition et ne l'empêchera pas de continuer à créer (avec) autant de bonheur.