Un frère et sa sœur -dont les visages se limitent à de schématiques masques- fuient le Petit Pays qui est ravagé par des cavaliers sanguinaires avides de supposées richesses enfouies. Tous deux vont vers l'Autre Monde. «Là-bas...c'est le pays du bonheur! Là-bas, tu auras une maison avec une rivière qui coule à l'intérieur et qui te donne à boire quand tu as soif (…) Je te le promets.»
Dans ce trajet jalonné de drames, les deux protagonistes se doivent de lutter non seulement pour survivre, mais également pour rester humain. Pour cela, le frère est accompagnée des Ombres, esprits des êtres disparus qui l'obligent à continuer et à raconter la réalité de son parcours. Le récit se terminera par un bouleversant message adressé par celles-ci : «Ne t'en fais pas pour nous maintenant, vis !».
Les ombres est un album à la force exceptionnelle. Graphiquement, Hippolyte s'invente à chaque instant avec le souci de coller au plus près de son propos. Aucune image n'est attendue, aucune scène n'est évidente. La mort d'un personnage, malgré son économie de moyen, devient porteur d'un vrai agglomérat de sensations.
Récit proche d'un conte, d'une fable pour enfant, avec ses scènes de forêts menaçantes, ses ogres, ses sirènes, Les ombres nous parle pourtant avec force de ce qu'est l'exil, de ce que c'est que de devoir s'arracher de son pays, des siens, de vivre avec la peur au ventre et la mort des siens, d'être exploité, trompé, interrogé, soupçonné...
La bande-dessinée Les Ombres – et sa relative abstraction- nous remue bien plus que bien des bandes dessinées de reportages et nous propose un objet dont l'ambition de propos est égale à sa qualité artistique.
Finir et dire que Les Ombres ne se raconte pas, il se vit, et est une de nos plus belles expériences de lecture bande dessinée.
Bruno