Ce tome fait suite à Walking Dead T17: Terrifiant (épisodes 97 à 102) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 103 à 108, initialement parus en 2012/2013, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rahtburn.
Dwight a commencé sa marche le menant de la zone d'Alexandria à la base de Negan. Paul Monroe (Jesus) l'a pris en filature sur les ordres de Rick Grimes pour en apprendre plus sur cette bande qui se fait appeler les Sauveurs. Suite à sa déclaration à la communauté d'Alexandria, Rick doit faire face à la colère froide d'Andrea qui est en train de préparer sa valise pour quitter le pavillon. Il faut encore qu'il essaye d'amadouer son Carl, lui aussi franchement déçu par le choix de son père. Pour achever de pourrir sa journée, Negan lui-même se présente à la grille de la communauté d'Alexandria, avec une petite armée derrière lui. Pendant qu'il patiente pour que Rick Grimes vienne leur permettre de pénétrer dans l'enceinte, ses hommes de main éclatent le crâne de plusieurs zombies présents alentours.
Une fois que Rick Grimes s'est résigné à ouvrir la grille, il se retrouve à faire le guide pour que Negan puisse jauger de leur installation, et de leurs ressources. Negan confie sa batte de baseball Lucille à Rick. Il passe devant Carl qui apostrophe Negan, lui indiquant qu'il se montrera sans pitié vis-à-vis de lui. Negan prend cette déclaration avec le sourire. Pendant ce temps-là, ses hommes de main ont commencé à s'emparer de la moitié des médicaments de la pharmacie, comme convenu dans l'accord passé pour assurer la protection de la communauté, sauf qu'ils choisissent les plus puissants. La docteure Denise Cloyd proteste avec véhémence. Après le départ de Negan et ses homes, Rick Grimes constate que Carl a disparu.
Depuis 2 tomes, le récit est reparti sur la base d'un changement de paradigme. L'enjeu n'est plus cantonné là la survie du petit groupe de Rick Grimes. Depuis que Paul Monroe a pris contact avec la communauté d'Alexandria, la série est entrée dans une phase plus complexe de reconstruction de la société. Le petit groupe mené par Rick Grimes doit toujours lutter pour sa survie, mais dans le cadre plus complexe de la coexistence de plusieurs communautés. Dans les tomes précédents, Robert Kirkman a établi que Rick Grimes représente la meilleure chance de survie pour tous ceux qui ont décidé de le suivre. Il s'en suit une gouvernance qui prend une forme de dictature éclairée dans laquelle Rick Grimes a le dernier mot et est seul maître à bord en situation de crise, mais où il a appris à consulter les autres en dehors de ces temps de danger grave et imminent. Cette dynamique est complètement remise en cause par l'existence de la communauté Hilltop et la réinstauration d'une forme primaire de commerce. Elle est à nouveau remise en cause par l'exercice d'un racket organisé, un groupe prélevant un lourd tribut sur les communautés qui produisent des fruits et légumes ou qui récupèrent des biens de consommation dans la zone où ils évoluent. Le groupe de Negan fait régner la loi du plus fort, aux dépens des communautés plus faibles.
Dans ce tome, le lecteur constate de nouveau les qualités de concepteur de Robert Kirkman. Pour que cette nouvelle dynamique fonctionne, il faut que les autres communautés disposent elles aussi d'un meneur crédible. Respectant l'adage qui veut qu'un héros a besoin d'un ennemi fort et charismatique, l'auteur a imaginé et donné vie à un opposant fascinant et monstrueux. Témoin d'une exécution barbare, le lecteur en avait pris toute la mesure quand il l'avait vu utiliser sa batte de baseball pour la première fois. Negan fait preuve d'un comportement de psychopathe dans la mesure où il n'envisage les autres que comme des moyens pour arriver à des fins, comme êtres qu'il convient de manipuler pour leur faire respecter des règles. Le lecteur observe à nouveau une démonstration de sadisme cruel, dénué de tout remords et de toute hésitation, avec l'usage immonde d'un fer à repasser. La scène ne dure que 3 cases, mais le lecteur en a le cœur au bord des lèvres. À nouveau, les choix graphiques de Charlie Adlard révèlent toute leur pertinence. Il n'augmente pas le niveau descriptif de ses dessins ; il laisse l'imagination du lecteur faire une partie du travail de représentation. C'est le degré d'imprécision qui contraint le lecteur à combler les lacunes et cette participation active rend la scène d'autant plus abjecte et nauséeuse.
Robert Kirkman ne joue pas que sur le sadisme et le manque d'empathie de Negan, il joue aussi sur son efficacité et sa logique. Le lecteur refuse de l'admettre, mais le mode de gestion des êtres humains par Negan assure la pérennité et la prospérité de sa communauté. En contraignant les hommes et les femmes à lui obéir, il ferme la porte à une autre possibilité de comportement, assurant leur loyauté par la cruauté des châtiments. En tant que conteur, Kirkman intègre ainsi des scènes choc répugnantes et horribles, constituant un divertissement pervers et irrésistible pour ses lecteurs, aussi fascinant qu'un accident de la route, ou qu'une catastrophe en train de se produire. La perversité de de la narration ne s'arrête pas là. Negan agit comme un psychopathe et le lecteur a pris la mesure de sa dangerosité. Il frémit donc en voyant Carl défier Negan, et en voyant Denise Cloyd s'opposer à la ponction dans sa réserve de médicaments. Du coup, il sent les gouttes de sueur couler le long de son dos quand Carl provoque Negan, puis quand Rick Grimes frappe carrément Negan. Le résultat est couru d'avance, mais il est impossible de savoir quelle forme prendra le prix à payer.
Le magnétisme rayonnant de Negan doit également beaucoup à Charlie Adlard. Il le représente comme un individu avec un forte carrure, qui en impose par sa simple présence, mais sans jouer sur une musculature de bodybuilder. À aucun moment dans ce tome, Negan ne quitte son jean, ses bottes et son blouson de cuir. L'unicité de sa tenue renforce son identité visuelle, faisant penser à une sorte de costume immuable. L'artiste donne encore plus de prestance au personnage, en montrant qu'il adopte une attitude posée et mesurée, à l'opposé d'un méchant d'opérette brassant de l'air. Negan ne s'agite pas dans tous les sens, il réfléchit avant d'agir, il mesure ses propos et il mesure ses gestes. Il observe ses interlocuteurs avant de prononcer sa sentence, ou d'annoncer la couleur. Même quand il éclate un zombie devant le portail d'Alexandria, il le fait d'une geste précis et efficace. Même quand il s'élance au milieu d'une fusillade dans sa place forte, il va droit au but, sans hésitation, sans geste inutile. Adlard montre un individu souriant à chaque nouvelle rencontre. Le lecteur a assisté à la manière dont il a éclaté le crâne d'un homme à coup de batte de baseball ; il sait donc que ce sourire n'exprime pas une forme gentillesse, d'ouverture, ou de plaisir de vivre. Il s'agit plus d'un sourire traduisant à la fois la confiance que Negan a en lui-même et le fait que sa vie intérieure ne se déroule pas selon des schémas normaux, discernables par ses interlocuteurs. L'artiste joue à merveille de cette inaccessibilité avec le lecteur. Lors du deuxième face-à-face entre Negan et Carl Grimes, le visage du premier continue d'arborer les mêmes expressions de sourire, ou de visage fermé indéchiffrable, alors que le lecteur scrute chaque signe qui pourrait lui permettre d'anticiper la décision qu'il va prendre.
Les auteurs se montrent aussi convaincants dans le portrait qu'il dresse de Carl Grimes. Les tomes précédents avaient établi à plusieurs reprises qu'il entre la phase de l'adolescence, qu'il a beaucoup observé les adultes autour de lui, qu'il s'est adapté au nouvel ordre mondial, à commencer par la mort inéluctable et omniprésente sous la forme des zombies, mais aussi la violence destructrice et sadique des êtres humains. Ce tome le met face à un individu qui représente un asservissement injuste par la force. Carl réagit à cette situation comme il pense que son père devrait le faire, comme il a vu son père le faire à maintes reprises. À nouveau, le dessinateur sait montrer la farouche détermination de ce jeune adolescent ignorant de la peur, mais aussi sa fragilité quand il se retrouve dans une situation dans laquelle il ne sait pas comment se comporter. Carl Grimes est un enfant d'un monde dévasté par l'épidémie de zombies. Il en porte les stigmates dans sa chair, il les arbore sur son visage. Le lecteur n'échappe pas à la narration appuyée des auteurs, avec un dessin en pleine page montrant le visage de Carl en gros plan, sans ses bandages. Mais dès la page suivante, il découvre un découpage de planche plus sophistiqué qui en dit long sur l'état d'esprit de Carl, sur sa détresse, avec une grosse larme exagérée par Adlard, et touchante malgré l'exagération.
Le lecteur se rend compte qu'il est complètement absorbé par le récit, complètement envouté par le comportement des personnages, en communion complète avec leur état d'esprit. L'empathie joue à plein, que ce soit pour la pression psychologique subie par Carl, pour l'angoisse et la frustration de Rick Grimes, ou encore pour le contrôle froid et terrifiant de Negan. Il constate, séquence après séquence, que les 2 narrateurs (Kirkman & Adlard) sont en phase pour montrer les éléments psychologiques, sans avoir à les nommer ou à les expliciter. Le lecteur se retrouve hypnotisé par la manière dont Negan insuffle une valeur symbolique à sa batte de baseball. Il y a bien sûr le fait qu'il lui ait donné un nom. Mais il faut voir également comment il en joue en présence d'autres personnes pour sous-entendre des tortures physiques, et la manière toute aussi vicieuse dont il la confie à Rick Grimes, dans l'enceinte d'Alexandria. Negan remet sa batte à Rick, le défiant ainsi de s'ne servir contre lui, le faisant dépositaire de son arme de manière transitoire, comme une forme de marque d'asservissement. L'alpha-mâle teste l'individu en dessous de lui dans la chaîne, et montre aux autres sa position dominante, en sous-entendant qu'il ne prend pas de risque en confiant son arme à un homme aussi inoffensif, réduit à l'impuissance. Bien sûr, Kirkman ne peut pas s'empêcher d'enfoncer le clou, quand Negan ajoute une petite phrase au creux de l'oreille de Rick pour l'humilier jusqu'au bout. De la même manière, Adlard ne peut pas s'empêcher d'exagérer de temps à autre, comme lorsque Negan reçoit un coup de boule en plein nez, et qu'il ne semble pas souffrir d'un nez cassé dans la case d'après.
Tout en étant conscient que les auteurs forcent le trait, le sadisme et les effets choc, le lecteur est complètement pris par la situation, éprouve complètement les émotions des principaux personnages, et ressent que la situation ne peut que dégénérer. Le tour de force narratif est tel que Kirkman et Adlard peuvent même s'amuser à faire apparaître les ficelles de l'intrigue, le lecteur reste complètement dedans, prêt à tout avaler. Du coup, il accepte sans broncher les victimes arbitraires de Carl (pourquoi eux et pas leur chef ?), la coïncidence du croisement entre le véhicule de Negan et celui de Rick Grimes. Le scénariste montre qu'il peut faire basculer son histoire comme bon lui semble, l'indique au lecteur, et ce dernier ne bronche pas. Kirkman est un boss aussi facétieux et terrible que Negan. En seulement 6 épisodes, les auteurs font bien plus qu'installer Negan comme un individu aussi imprévisible que crédible et faire avancer leur intrigue. Ils trouvent aussi le moyen de faire exister plusieurs des autres personnages. Le lecteur sourit devant l'amour sincère que se portent Eric & Aaron, tout en notant bien que c'est l'occasion pour l'auteur de placer une petite remarque sur l'une des pierres angulaires de la civilisation. Il observe avec curiosité les émotions passer sur le visage de Dwight, attestant d'une rancœur inextinguible, tout en sachant qu'il s'agit de préparer une trahison. Il fond littéralement lorsqu'Eugene Porter éprouve une reconnaissance indicible juste grâce à un petit mot gentil de Rosita Espinosa. Il observe avec espoir Michonne donner une leçon de destruction de zombie à Carl. À chaque fois, le lecteur sait dans son for intérieur que Kirkman est en train de préparer la suite, mais cela n'enlève rien à la justesse émotionnelle de ces relations interpersonnelles.
Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises dans ce tome. Dans le précédent, Rick Grimes avait commencé à dissimuler une partie de ses décisions à la majorité des membres de la communauté. Il récidive dans ce tome. L'auteur n'a jamais prétendu que l'exercice du pouvoir par Rick Grimes est une démocratie, mais avec un peu de recul, le lecteur peut voir un mensonge d'état dans le fait que Grimes cache la mission de Paul Monroe (et son résultat) à l'ensemble de la communauté. Dans la manière dont cette décision est montrée, il est évident que les auteurs s'attendent à ce que le lecteur la cautionne, impliquant ainsi que tout ne doit pas être dit au grand public et la sécurité des citoyens se payent au prix de petits et de grands mensonges, charge à chaque lecteur de se faire sa propre opinion. Le dernier épisode de ce tome recèle une autre surprise de taille : la première apparition d'Ezekiel, un nouveau personnage qui sait lui aussi utiliser le décorum pour impressionner ses interlocuteurs, Adlard & Kirkman se lâchant comme à leur habitude.
À l'évidence, la reconstruction de la civilisation pas à pas n'allait pas se faire dans en progressant sur un chemin tranquille, mais le lecteur ne pouvait pas s'attendre à une telle intensité narrative et dramatique dans un seul tome. Il en sort estomaqué et impatient de pouvoir lire la suite. Robert Kirkman et Charlie Adlard continuent d'asséner des moments choc pour réveiller le lecteur, mais le fond de la narration est autrement sophistiqué et dense, tout en restant parfaitement accessible.