Initialement parues sur un blog hébergé par Le Monde, les planches contenues dans cet album, récits courts d’une ou deux pages, mettent en scène un avatar de l’auteur surnommé sobrement « le réac », grand personnage dégarni à lunettes passant le plus clair de son temps à soliloquer avec son épouse, à tenter d’éduquer ses enfants et à mettre mal à l’aise ses amis, ne respectant aucune des vaches sacrées de notre époque. Hipsters, dealers, punks à chiens, chrétiens de gauche, pédagogues progressistes, accros aux selfies, papas-poules, féministes liberticides, adulescents en trotinette, zadistes, zélateurs du massage de la prostate : nul ne trouve grâce à ses yeux et il semble être, dans son cercle social, le seul à ne pas savoir qu’il y a des sujets sur lesquels on ne plaisante pas… Errant d’une soirée bobo à un comité de quartier, du bistrot du coin au supermarché, du square à une assemblée générale de Nuit Debout, il brocarde sans complexe les commémorations navrantes de la bataille de Verdun, le mariage pour tous, la dictature des smartphones ou les tics de langage les plus agaçants de nos contemporains.
Sous une couverture rouge dont la maquette évoque celle des pages de garde du temps de la BD classique, Ma vie de réac présente un dessin assez minimaliste accompagné d’aplats de couleurs basiques, conférant à l’ensemble une esthétique assez proche à certains égards de celle du dessinateur Charles Berberian (qui vient lui aussi de faire paraître, chez Fluide Glacial, un album intéressant : Le Bonheur occidental). Ce personnage de père de famille anti-moderne et bavard, jetant des froids dans les réceptions, mettant systématiquement les pieds dans le plat et faisant soupirer sa femme qui sent à tous moments poindre le scandale est au final assez sympathique, ne serait-ce que par contraste avec le conformisme désespérant des milieux dans lesquels on le voit mis en scène. Une bande dessinée oscillant à chaque page entre Gérard Lauzier et Xavier Eman…