Palestine par AGipsySpirit
S'il fallait trouver une définition à la BD-journalisme, Confucius avec son « Une image vaut mille mots » nous a déjà mâché le travail. Palestine de Joe Sacco n'y fait pas exception.
En 1992, Joe Sacco, irrité par la vision occidentale du conflit israélo-palestinien, décide de partir en Palestine parce qu'il dit s'être senti obligé. Prenant petit à petit conscience de la souffrance des Palestiniens mais aussi d'un Israël pas si innocent qu'on voudrait le faire croire, il avait le sentiment de devoir faire quelque chose. Joe Sacco est né à Malte mais ses parents ont très vite déménagé en Australie, puis à Los Angeles. Il étudiera le journalisme à l'université mais abandonne assez vite l'idée de travailler dans la presse traditionnelle. Il raccroche donc à la BD, "la passion d'une vie", et déménage à Berlin pour y travailler. C'est là-bas que son idée de parler de la Palestine via le média de la bande dessinée va germer et que finalement, il décide que la meilleure façon d'en parler et d'aller sur place.
Dans sa méthodologie, Joe Sacco est très proche de Art Spiegelman. Tous deux font de la BD-journalisme, Spiegelman interview son père pour raconter l'oppression du peuple juif et les camps de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale, Joe Sacco lui parcourt les territoires occupés, rencontres des Palestiniens, vit autour d'eux, avec eux pour rendre compte d'une réalité enterrée derrière des journaux télévisés. Dans ce titre, "Palestine", l'auteur dit déjà beaucoup de choses. Ici, il s'agit bien (pratiquement) d'un seul point de vue. Comme il l'explique à la fois dans le récit mais aussi dans une série de (très bons!) documents précédant la bd, il estime que le point de vue israélien est parfaitement représenté dans les médias nord-américains.
Pourtant, l'histoire parle très peu de politique. Si les noms de partis ou personnalité sont évoqués régulièrement, jamais Joe Sacco ne donne une vraie dimension politique à sa bd. Exit propagandes (des deux côtés), discours et autres endoctrinements. Ce qui l'intéresse, ce sont les gens. Au fur et à mesure de l'histoire, on découvre le quotidien de ces oubliés. Les récits se suivent et se ressemblent souvent mais après tout, les souffrances, elles, ne s'arrêtent pas!. Les Palestiniens vivent dans la terreur et la haine, chaque famille a son lot d'injustices où tortures, justice à deux vitesses et violence démesurée se croisent régulièrement. Condamnés bien souvent à des vies misérables et pauvres, ils subissent la colonisation armée de leurs terres. Joe Sacco s'immerge totalement, il n'hésite pas à visiter les zones "sensibles", il côtoie souvent malgré lui des situations de panique en pleine rue. Pédagogique et instructif, ce livre nous en apprend plus que 10 ans de journaux télévisés. Bien sûr, ce que nous raconte l'auteur a déjà 20 ans, et pourtant, le conflit ne faiblit pas.
Première "vraie" BD de Sacco, cela se ressent particulièrement au début où le style "cartoon" est parfois trop caricatural, mais moins par la suite. L'histoire manque également de fil conducteur. Les interviews et lieux s'enchainent sans vrai raccord, mais Sacco se rattrape largement sur sa mise en scène avec des contre-plongées ou encore une déstructuration des cases (même si parfois un peu trop brouillonnes).
Joe Sacco ne se contentera pas de ce reportage. Il va aussi écrire et dessiner Gaza 1956, en marge de l'histoire, qui finira certainement rapidement dans ma bibliothèque. Mais il voyagera dans d'autres pays également. En Bosnie alors que la guerre touche presque à sa fin, dans son pays d'origine, à Malte, où les immigrants africains sont vu d'un très mauvais oeil par la population locale. Dernièrement, il a illustré Jours de destruction Jours de révolte avec les textes de Chris Hedges.