Ce conte fantastique est l’une des dernières œuvres qu’Hubert, disparu en début d’année, nous aura léguée — avec « Les Ogres-Dieux » (tome 4) et peut-être « Le Boiseleur » (tome 2). Et qui nous fait d’autant plus regretter sa mort. Car « Peau d’homme » est une merveille d’intelligence, un vrai chef-d’œuvre qui, en situant le récit dans une Italie médiévale, s’avère d’une extrême modernité.
En utilisant les ressorts du conte populaire, notamment la fluidité narrative et toute la magie inhérente au genre, Hubert va y intégrer les problématiques les plus contemporaines, et c’est bien là que réside son génie. In fine, cette société médiévale ressemble étrangement à la nôtre, avec deux visions s’opposant radicalement. D’un côté la tradition et les mœurs religieuses rétrogrades, prôné par le frère obscurantiste de Bianca, de l’autre des idées progressistes alliées à un certain hédonisme et au respect de l’identité sexuelle. On ne « divulgâchera » pas le récit, mais Bianca va réussir, grâce à cette incroyable peau d’homme, à s’affranchir des conventions dont son futur mari Giovanni, qui n’est pas celui qu’elle croyait au départ, est resté la victime consentante. C’est en se métamorphosant en « passionaria gay » que Bianca va apprendre à lutter pour la liberté ! Face à son frère fanatisé Angelo dont la morale bigote a soumis les esprits jusqu’aux instances de pouvoir, ses objections, fondées sur une logique imparable que permet son innocence, sont très bien mises en relief et ne font que ridiculiser ce dernier, participant à la jubilation du lecteur. Le point d’orgue du récit sera ce joyeux carnaval où les corps et les âmes vont se déchaîner pendant toute une nuit et contribuer à l’éviction de Fra Angelo…
Sur le plan graphique, on apprécie la ligne claire élégante et stylisée de Zanzim, parfaitement en symbiose avec la narration, et le lecteur est immédiatement aspiré dans cet univers médiéval de conte de fées. La mise en page, simple en apparence, est très subtile, avec des cadrages et une composition qui par moment savent s’allier aux textes pour provoquer l’amusement, notamment avec cette scène où Bianca déstabilise Giovanni de son regard amoureux, tandis qu’un zoom se fait sur le postérieur de la statue géante d’un adonis nu, équipé d’un énorme gourdin reposant sur son épaule. La narration est également rendue dynamique par un agencement visuel très varié. Zanzim nous offre des pleines pages de toute beauté, dont certaines montrent les personnages évoluer à travers un décor unique, ce qui donne un côté très ludique au récit. Tout cela ajouté à la délicatesse du trait et au choix pertinent des couleurs, on se sent totalement comblé ! Et pour magnifier l’ensemble, la couverture est superbe, avec une très belle illustration en vernis sélectif, cernée d’arabesques en impression bleu doré.
« Peau d’homme » s’impose incontestablement comme le must venu illuminer cette année grise, tant par la forme que par le fond. Car en ces temps incertains où l’on assiste à une montée en puissance de l’intolérance, le propos à la fois malicieux et empathique de ce récit sème le trouble dans nos certitudes et nos préjugés quant à l’appartenance sexuelle, tout en taillant de profondes croupières au paternalisme si enraciné de nos sociétés, et ça, ça fait un bien fou. On ne peut qu’exprimer notre reconnaissance aux deux auteurs. Hubert, avec ce merveilleux album, testament conscient ou non, mérite bien de reposer en paix !