Ce tome fait suite à Saga Tome 7 (épisodes 37 à 42) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre les relations entre les personnages, et leur histoire personnelle. Il comprend les épisodes 43 à 48, initialement parus en 2017, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés, encrés et mis en couleurs par Fiona Staples.


Le docteur shérif accueille le couple dans la ville de l'avortement. Prince Robot IV se présente sous le nom de comte Robot LI, et demande au docteur shérif s'il peut aider la dame à ses côtés qui est une de ses assistantes (il s'agit d'Alana). Docteur Shérif indique que comte Robot LI ne pourra pas accompagner Alana, parce que seule les membres de la famille sont admis. Celle-ci indique qu'il est de la famille puisque c'est lui le père. Docteur Shérif a dû mal à y croire : il ne pensait pas que ce type de relation inter-espèce pouvait être fertile. Il demande ensuite depuis combien de temps Alana est enceinte : elle répond 8 mois, soit son troisième trimestre. Docteur Shérif indique qu'il ne peut pas procéder à un avortement à un tel stade d'avancement de la grossesse. Devant l'insistance du comte Robot LI, il admet que de l'autre côté de la planète se trouvent des individus qui réalisent des interruptions illégales, dans la région appelée Badlands. Le commentaire a posteriori de Hazel reprend et elle effectue des rappels : la planète Landfall et sa lune Wreath, l'origine de ses parents (Alana de Landfall, Marko de Wreath), la guerre entre les peuples, guerre qui s'est étendue aux autres planètes de la galaxie, et enfin le moment où Hazel elle-même se tient devant ses parents qui sont par terre dans les bras l'un de l'autre, en train de pleurer. Cette scène est interrompue par l'arrivée de Petrichor qui pousse devant elle Prince Robot IV ligoté dans son fouet.


Alana et Marko se remettent debout et demandent ce qui s'est passé. Prince Robot IV explique que Petrichor a sacrifié sa propre chair pour maîtriser l'atterrissage. Petrichor hume les odeurs de la pièce et s'agenouille devant Alana, en la qualifiant de Très Sainte Mère. Pour elle, une personne qui porte un embryon mort est un récipient sacré. Alana rétorque qu'elle n'est qu'un cercueil. Petrichor ajoute que le fœtus mort doit être enlevé au plus vite au cours d'une cérémonie idoine, pour ne pas altérer la santé d'Alana. Marko fait observer qu'il n'est pas possible d'aller sur Wreath puisqu'Alana est une Landfall, et qu'ils ne peuvent pas aller sur Landfall parce qu'Alana serait arrêtée du fait des caractéristiques physiologiques du fœtus. C'est Prince Robot IV qui suggère de se rendre sur la planète Pervious avec ces obstétriciens-gynécologues qui pratiquent l'avortement. En attendant le retour de Prince Robot IV et Alana, Marko creuse une fosse pour y mettre leurs déchets, Hazel bande les mains de Petrichor pour qu'elles guérissent rapidement. Hazel lui demande si elle poser des questions sur son pénis. Petrichor réagit vivement et négativement. Le visage de Hazel traduit un fort sentiment de tristesse : elle-même a peur de ce que son corps va devenir, en tant qu'enfant d'un mariage mixte. Petrichor la rassure et lui dit qu'elle sera toujours là pour elle. Alana est de retour sur sa monture : elle explique à Marko ce qui s'est passé et où elle doit se rendre. Marko indique qu'il va l'accompagner, ce qu'Alana ne souhaite pas. Il commence à se produire des mouvements dans la fosse que Marko a creusé.


C'est toujours un plaisir de retrouver les personnages si attachants de cette comédie de situation parée des atours de l'opéra de l'espace. Comme à leur habitude, leurs auteurs ne s'interdisent rien, et Fiona Staples dessine des trucs vraiment bizarres, décalés, à la fois premier degré, et à la fois amusants. Ça commence avec ce docteur Shérif qui est une chouette anthropomorphe ayant conservé la capacité de tourner sa tête à 180 degrés, effet bizarre assuré. Même s'il devrait s'y être accoutumé depuis le temps, le lecteur est toujours autant déstabilisé par la tête en forme de téléviseur des années 1980 de Prince Robot IV, avec la fêlure ajoutant une petite touche encore plus décalée. Il ne s'attendait pas à voir des sortes de centaures, enfin des êtres vivants et intelligents doués de paroles, participant à la fois du cheval et de l'être humain. Il lui faut presque faire un effort pour accepter la différence morphologique qui fait que ce ne sont pas des centaures. Par la suite, il n'a que l'embarras du choix pour les éléments visuels exotiques, pouvant même ne retenir que ceux à son goût : flot de bile noire, forme très particulière de la locomotive, énorme champignon fluorescent servant de lit, lien dont la consistance rappelle celle des intestins pour ligoter une prisonnière, morphologie très particulière du médecin marron qui ne donne pas du tout confiance, très inquiétante même, ou encore le masque pointu et prismatique de la geôlière de The Will. Bien évidemment, le lecteur retrouve également avec plaisir la scène de sexe chronique, une par tome, cette fois-ci entre Alana et un ancien amant, et une légère touche pimentée avec une paire de menottes, même s'il s'agit d'un rêve.


Visuellement, la narration est toujours aussi riche en termes d'éléments inattendus, d'appropriation de stéréotypes visuels (la chouette anthropomorphe) retravaillés pour nourrir l'environnement de la série, acquérant ainsi un goût très différent. Le lecteur n'y prête plus trop attention du fait de leur intégration organique, mais il peut aussi se concentrer pour considérer les décors. La dessinatrice maîtrise parfaitement le degré de détail de leur représentation : de flou à très détaillé, en fonction de la nature de la case, et de la séquence à laquelle elle participe. Le premier épisode s'ouvre avec un dessin en pleine page, et le lecteur peut y voir le portique de bienvenue à Avortement-Ville, les formations rocheuses ocre, quelques habitations en arrière-plan. Pour la suite de la scène, Staples conserve la couleur ocre, ainsi que les silhouettes des formations rocheuses et leur texture, ce qui assure l'unité du lieu, l'ambiance lumineuse, et la sensation de profondeur. À l'intérieur du vaisseau-arbre, elle peut se contenter de reproduire la texture de bois en un peu délavé. De même qu'à l'intérieur du wagon, elle peut se contenter de vaguement représenter des lattes de bois un peu floutées, en arrière-plan. Par comparaison, elle représente plus d'éléments dans la maison où exerce le médecin marron : motif du tapis, cheminée et son manteau, canapé et ses coussins, évier et mur à nu dans le coin cuisine, table d'opération et lumière crue dans le sous-sol où elle pratique les avortements.


L'artiste continue de mettre en œuvre une direction d'acteur naturaliste, ce qui donne une présence et sensibilité plus grandes à ces personnages dotés de caractéristiques physiques exotiques. Le lecteur est en pleine empathie avec chacun d'eux que ce soit la profonde tristesse de Hazel se demandant à quoi elle ressemblera quand elle sera grande, la déférence de Petrichor s'agenouillant devant Alana, la tendresse qu'éprouve Petrichor pour Hazel, la franche ingénuité du jeune Kurti, le surprenant détachement de The Will alors qu'il est attaché et que son esprit est sondé par sa geôlière, l'assurance de Gwendolyn nue devant The Will, ou encore les mimiques irrésistibles de Ghüs. Le lecteur peut voir toute la maîtrise de Staples dans Ghüs : un bébé phoque anthropomorphe, trop mignon, mais dont les expressions de visage attestent sans nul doute possible qu'il s’agit d'un adulte avec des années d'expérience. Comme dans les tomes précédents, le lecteur sent bien que son intérêt premier pour cette série réside dans les personnages plutôt que dans l'intrigue ou les péripéties. Celles-ci restent appréciables même si le scénariste pioche dans une bibliothèque de rebondissements des plus classiques. Elles font toujours leur effet qu'elles appartiennent au genre science-fiction ou au genre comédie de situation : famille recomposée, inquiétude de l'enfant, deuil d'une grossesse qui n'est pas arrivée à terme, individu transgenre préférant rester discret, prises de bec au sein d'une cellule familiale, fusées spatiales, armes à la technologie futuriste, et pour faire bonne mesure Vaughan rajoute quelques conventions du genre Western. Avec tout ça, la quête pour un avortement d'Alana prend une toute autre saveur. Le lecteur est donc fort aise de retrouver les personnages principaux (Alana, Marko, Hazel), les personnages secondaires du moment (Petrichor, Prince Robot IV), les personnages secondaires intermittents (Ghüs, Squire, Doff, Upsher) et de découvrir un nouveau venu Kurti, très original à l'existence très poignante.


À chaque tome, le lecteur se dit qu'il va s'adonner à son petit plaisir coupable : se plonger dans une sitcom bien faite, mais une sitcom quand même. À chaque fois, il constate que Fiona Staples & Brian K. Vaughan font preuve d'une belle inventivité, sachant accommoder des conventions de genre classiques et cliché, pour se les approprier, et nourrir leur récit de manière originale. À chaque fois, il est emporté par la narration visuelle maîtrisée, efficace et consistante, avec des moments surprenants et d'autres touchants. À chaque fois, il sourit devant les tribulations de cette famille malmenée, Vaughan préférant le ton de comédie dramatique légère, plutôt que du drame larmoyant. À chaque fois, il est content de retrouver ces personnages aux atours si exotiques, au comportement si humain, à l'affection si chaleureuse.

Presence
10
Écrit par

Créée

le 19 sept. 2020

Critique lue 90 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 90 fois

D'autres avis sur Saga, tome 8

Saga, tome 8
Apostille
8

Cunnilingus et cumulonimbus pour lunienne gravide...

Cette Saga n'a pas fini d'étonner ses lecteurs ! Alana, lors d'un incident spatial pour se sortir d'une situation potentiellement mortelle, a senti son fœtus quitter la vie. Elle se rend alors, sur...

le 8 avr. 2018

4 j'aime

Saga, tome 8
Julie-Alice_Black
7

Un tome un peu en dessous

J'adore toujours autant cette série absolument géniallissime même si ce tome-ci est peut-être un peu en dessous des précédents (histoire moins trépidante, moins de tension, moins d'émotions aussi)...

le 19 oct. 2018

1 j'aime

Saga, tome 8
Romain_Bouvet
9

Une petite parenthèse à 4 !

Lors du sixième tome, Alana et Marko retrouvaient enfin, après des années, leur petite Hazel. Une famille enfin réunie et heureuse, avec un heureux événement en route ! Que demande de...

le 16 mai 2018

1 j'aime

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime