Shangri-la est un lieu fermé dans lequel on voit de merveilleux paysages et où le temps est suspendu dans une atmosphère de paix et tranquillité.
La couverture de la BD de Mathieu Bablet illustre parfaitement cette utopie imaginaire issue du roman Lost Horizon de James Hilton et, la scène du livre qui lui correspond est le premier moment véritablement marquant de cette pépite de science-fiction du 9ème art.
Un concentré d'aujourd'hui
Dans ce futur lointain, l'humanité est cantonnée, entassée dans une station spatiale en orbite autour d'une terre hostile et inhabitable. Aliéné, sous le monopole de l'entreprise Tianzhu, chacun des habitants semble volontairement embourbé dans un consumérisme accepté. Et au milieu de cette routine froide et mécanique, Scott doit enquêter sur des phénomènes étranges survenus sur différents satellites. Soumis au silence sur ses découvertes et attiré par un libre-arbitre émergeant, il se verra entraîné dans les actions d'un groupe de résistants écœurés par ce mode de vie qu'on leur impose.
Une histoire qui permet à l'auteur Mathieu Bablet, grâce à cette station spatiale, sorte de pays aux frontières métalliques, de nous introduire une société réduite à ses travers. Il concentre les dérives actuelles de notre système et les pousse à l'extrême dans un univers ou règne nombre de choses qui font écho à l'actualité : manipulation des masses par l'information, asservissement par la création de faux besoins, perte de sens et absence de réflexion, troc des libertés contre le sentiment de sécurité...
L'auteur puise dans les détails visuels et offre un point de vue intéressant, bien qu'un peu facile, invitant à la réflexion sur notre société de consommation et nos priorités. A travers les téléphones, les affiches publicitaires, les appartements/cages à poules en "F", les animoïdes, il dresse le résumé pessimiste d'une humanité et d'un système au bord de l'implosion où le libre arbitre se cantonne derrière des œillères invisibles. Et avec la manière !
Colorimétrie et grandeur du vide
Une des autres forces de cette oeuvre se trouve indéniablement dans le choix artistique. Au delà de son trait de crayon, l'auteur réussit à créer une véritable atmosphère en jouant avec les différents niveaux d'une même couleur. Ainsi, on passe du bleu au orange et au vert selon les personnages, leurs émotions, selon les actions et, lorsqu'on se retrouve comme Scott dans l'immensité du vide spatial, les quelques couleurs, même rares au sein de ce noir profond réussissent à créer de magnifiques scènes de flottements ou le mouvement est exempt de repères.
Prenez votre temps... je suis bien ici.
Voilà un roman graphique qui ferait une superbe oeuvre cinématographique pour peu qu'elle tombe entre de bonnes mains. Evoquant indéniablement dans ses plans figés en apesanteur ou dans ses excès de rage canine et ses scènes d'émeutes, la langueur d'un être à bout de force, entre résignation et envie de vivre, Shangri-la serait superbement secondée, à la manière d'un 2001, Odyssée de l'espace, d'une bande-son de musique classique.
En un peu plus de 200 pages réunies dans une édition de qualité, on ne peut que saluer le travail de Mathieu Bablet qui a su trouver chez Ankama, un éditeur à la mesure de son ambition. Car Shangri-la est imposant, séduisant et indéniablement ambitieux. Un superbe objet qu'on dévore page après page, mot après mot, parfois absorbé par une vignette que l'on fixe pendant plusieurs secondes. Une oeuvre de science-fiction dans un futur suggéré et à la fois bien présent, aux dialogues pertinents et où se débattent des personnages et leurs aspirations.
Séduit... à 100%.