Initialement, il est difficile de considérer Kraven le chasseur comme une menace sérieuse pour Spider-Man. Créé par Stan Lee et Steve Ditko dès les débuts de Peter Parker, son look et ses pouvoirs font en effet plutôt sourire. Comment imaginer qu’un chasseur en collant léopard et aux pouvoirs quasi inexistant, puisse vaincre l’un des plus grands héros MARVEL ?
Le scénariste J. M. DeMatteis a depuis longtemps l’idée d’un duel final entre deux ennemis jurés, qui constituerait le dernier combat du vilain. D’ailleurs, il propose pour la première fois son projet sous la forme d’une mini série opposant Wonder Man à son frère, le Moissonneur. Son histoire manque même de devenir La dernière chasse du Joker, puisque le DeMatteis soumet également l’idée a DC Comics en opposant Batman à son adversaire de toujours. Mais finalement, c’est Peter Parker de chez MARVEL, qui sera le héros de cette saga, de La dernière chasse de Kraven ou Kraven’s Last Hunt en VO.
Les 6 épisodes sont publiés en deux mois seulement, en octobre et novembre 1987, au travers des trois séries principales consacrée à Spider-Man. Qui aurait pensé que cette aventure, pouvant être considéré comme un bouche-trou, pendant que les auteurs habituel de ces séries faisaient une pause, deviendrait l’une des saga unanimement, saluer par les lecteurs, la critique et la postérité ?
Web of Spider-Man #31 (octobre 1987) : The Coffin
Amazing Spider-Man #293 (octobre 1987) : Crawling
Spectacular Spider-Man #131 (octobre 1987) : Descent
Web of Spider-Man #32 (novembre 1987) : Resurrection
Amazing Spider-Man #294 (novembre 1987) : Thunder
Spectacular Spider-Man #132 (novembre 1987) : Ascending
J. M. DeMatteis place Sergei Kravinoff, alias Kraven, au centre de la scène. Ce récit explore la psyché troublée de cet antagoniste emblématique à travers un flux de pensées dense et introspectif. Kraven n’est pas simplement un vilain cherchant à vaincre Spider-Man, il est un homme hanté par le poids de son héritage familial et obsédé par la quête de perfection. DeMatteis plonge dans ses tourments, explorant son besoin de prouver qu’il est supérieur à Spider-Man non seulement physiquement, mais également spirituellement. Ces réflexions mettent en lumière une facette tragique du personnage, transformant ce qui pourrait être un simple combat en une méditation profonde sur la lutte pour la reconnaissance et l’immortalité symbolique.
Bien que Kraven vole la vedette, Peter Parker, reste un élément clé de ce récit. DeMatteis montre un héros vulnérable, frappé par l’implacable volonté de Kraven. Ce dernier va jusqu’à enterrer Spider-Man vivant, un acte qui marque un point culminant de domination physique et psychologique. Cependant, la résurrection de Peter est aussi une métaphore de sa force intérieure. Soutenu par son amour pour Mary Jane Watson et son récent mariage, Peter illustre l’espoir et la résilience, contrebalançant le désespoir nihiliste de Kraven. La peur que Kraven cherche à instiller ne parvient pas à écraser l’essence même de Spider-Man : un héros qui, malgré les coups, trouve toujours la force de se relever.
Si l’approche introspective est l’un des points forts du récit, elle peut également en être une faiblesse. Le recours constant au flux de pensées, qu’il s’agisse de Kraven, de Peter ou même de Mary Jane, sature parfois la narration. L’abondance de dialogues internes et de textes narratifs alourdit l’histoire et peut donner une impression de répétition. À force d’explorer chaque détail psychologique, DeMatteis semble parfois perdre son fil, ce qui peut détourner le lecteur de l’action et affaiblir l’impact émotionnel de certaines scènes. Cet excès donne une impression de surcharge narrative qui pourrait rebuter ceux qui préfèrent une approche plus visuelle ou dynamique.
Pour donner vie à cette histoire ambitieuse, DeMatteis fait équipe avec Mike Zeck, un artiste qu’il connaît bien pour avoir collaboré sur des épisodes mémorables de Captain America. Ensemble, ils introduisent Vermine, une créature hybride mi-homme, mi-rat, un personnage qu’ils avaient déjà co-créé. Vermine incarne une sauvagerie primitive, et sa présence dans l’histoire sert de miroir aux perceptions divergentes de Peter Parker et de Kraven. Tandis que Peter voit Vermine comme une victime d’expériences monstrueuses, Kraven le perçoit comme une proie, un défi qui lui permet de prouver sa suprématie. Cette dualité enrichit le récit, soulignant les différences fondamentales entre le héros et son ennemi.
Les dessins de Mike Zeck magnifient l’histoire, en particulier dans la représentation de Kraven. L’artiste parvient à capturer la stature imposante du Chasseur, le dotant d’une présence presque mythologique. Les scènes où Kraven domine Spider-Man dégagent une intensité palpable, tandis que l’univers sombre et oppressant dans lequel évoluent les personnages accentue le ton tragique du récit. Zeck excelle également dans la représentation de Vermine, dont l’apparence crasseuse et bestiale symbolise l’abîme de l’humanité déchue. Son art apporte une texture visuelle qui amplifie l’impact émotionnel des thèmes abordés.
La « presque » fin de a marqué les esprits par son audace. Le suicide de Kraven, d’une brutalité sans détour, est une rupture frappante avec les conventions des comics de l’époque. Ce choix narratif, qui reste encore choquant aujourd’hui, a suscité des débats intenses, y compris chez MARVEL. En décidant de conclure son histoire par cet acte radical, DeMatteis confère à Kraven une tragédie shakespearienne, scellant son destin avec une finalité rare dans les récits de super-héros. Cette conclusion illustre le poids existentiel de l’histoire et marque un tournant dans la manière dont les vilains peuvent être perçus.
Kraven’s Last Hunt reste un jalon dans l’histoire de Spider-Man et des comics en général. En mettant l’accent sur la psychologie de ses personnages, DeMatteis et Zeck ont transcendé le simple affrontement super-héroïque pour offrir une réflexion complexe sur la dualité, la quête de sens et la mortalité. Bien que l’excès de narration puisse diviser, l’impact visuel et thématique du récit en fait une œuvre inoubliable. C’est une histoire qui, même des décennies plus tard, continue de captiver et de susciter des discussions, prouvant que les comics peuvent être un puissant vecteur d’art et de réflexion.