J'avais du mal avec le dessin de Derf Backderf, disons le tout de suite.
Cette espèce de déformation un peu caricaturale des visages, ces silhouette dégingandées qui tiennent plus de la marionnette que de l'être humain, ces visages inexpressifs... le tout s'inscrivant dans l'héritage d'un Crumb dont, si je respecte l'indéniable génie, je n'ai jamais fait partie des admirateurs...
Bref, si l'éditeur français, garçon formidable au demeurant, ne m'avait pas offert ce livre, je serais resté profane comme devant le précédent "mon ami Dahler" (si je ne m'abuse sur l'écriture).
Et je serais passé à côté d'un truc.
Car d'un sujet bien rébarbatif et pas sexy pour un sous, le ramassage des ordures au Canada, l'auteur sort un portrait au vitriol de notre mode de vie contemporain et de la société de consommation.
Si j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages (toujours le dessin), leur destinée est celle de tous : paumés, condamnés à cet emploi par leur manque d'ambition ou d'imagination, ils sont là pour rammasser la merde des gens. Et les gens sont sales.
L'infinie variété des immondices s'accumulent, au gré des mésaventures de ces louseurs même pas magnifiques. On a beau tenir les déchets à distance et se dire que cette histoire se passe au Canada, bien loin de chez nous, on ne peut que faire le constat qu'elle a sûrement lieu à deux pas de chez soi.
Les décharges immenses que seul un mur nous cache, celui de notre aveuglement, le travail des petites gens chargées de passer derrière nous quand on jette nos encombrants et nos sacs de merde, l'accumulation et la pollution de nos emballages inutiles, couleurs froissées, paillettes éteintes quand le contenu est consommé. Tout cela est subtilement distillé dans ce roman graphique aux faux airs de tranche de vie.
Tout le long du livre, on suit les deux plus bas échelons du noble métier de poubelier, les ramasseurs, constatant du haut de leur camion la saleté de leurs concitoyen, examinant leur vie à la loupe à travers leurs restes, et critiquant du bas l'incompétence de leurs chefs, comme on le fait tous. A l'issue du livre, un personnage prendra du grade et deviendra le conducteur, laissant la place à deux nouveau untermensch, tandis que l'autre quittera la machine pour reprendre des études pour une vie meilleure, brêve et trompeuse lueur d'espoir, car son camarade en sort, lui des études.
Un petit dossier donne quelques informations éclairantes sur la partie émergée de l'iceberg d'immondices dont nous recouvront peu à peu notre planète, en dansant sur les sacs poubelles tandis que l'orchestre du Titanic entame la dernière valse...
Et voilà, il ne me reste plus qu'à lire "mon ami Dahler"