Ce tome fait suit suite à DMZ, Tome 05 : La guerre caché (épisodes 23 à 38) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 29 à 34, initialement parus en 2008, écrits par Brian Wood qui a également réalisé les couvertures, dessinés et encrés par Riccardo Burchielli, et mis en couleurs par Jeromy Cox.


Un hélicoptère de l'armée est en train de survoler un quartier de Manhattan où des manifestants défilent avec des banderoles portant la mention : Delgado Nation. Un coup de feu est tiré dans la foule, plusieurs hommes armés apparaissent portant es teeshirts violets et des bérets assortis. En première ligne se trouve Matty Roth, avec un fusil mitrailleur, et derrière lui deux hommes en soutiennent un autre avec un bob qui lui couvre le visage. Plusieurs semaines auparavant, Zee Hernandez se réveille dans l'appartement de Matty Roth après une nuit passée ensemble. Elle lui dit qu'il pourrait rendre son appartement et venir habiter avec elle. Les informations annoncent que les négociations pour un traité de cessez-le-feu vont bientôt commencer. Roth n'est pas dupe des images qui accompagnent l'annonce : elles montrent un quartier tranquille, mais en fait il a été pacifié peu de temps auparavant et les coups de feu se font entendre quelques pâtés d'immeubles plus loin. le commentateur continue en indiquant qu'autour de la table se trouvent des représentants des États-Unis, ainsi que des Armées des États Libres, des Nations Unies, de l'entreprise Trustwell Inc, et des factions armées opérant dans Manhattan. Matty Roth arrive devant l'immeuble où se tiennent les négociations et accepte et signer un nouveau contrat avec Liberty News pour avoir un accès presse aux négociations.


Avant d'entrer dans le bâtiment, Matty Roth papote un peu avec un Casque Bleu : il lui demande où ils ont parqué les manifestants. le soldat lui dit d'aller se faire voir. En attendant l'allocution officielle, Roth se demande si ces négociations vont vraiment changer quelque chose, s'il en sortira un processus de paix viable : ça ne lui parait pas complètement impossible. Un général des États-Unis prend la parole et annonce un cessez-le-feu d'une durée de quatre semaines, qui s'achèvera par des élections pour avoir une assemblée gouvernante de la zone démilitarisée. Un premier participant intervient pour indiquer que sa faction armée ne soutiendra que la vraie Amérique. Un autre participant prend la parole et attire tout de suite l'attention de tous les présents. Il s'agit de Parco Delgado, représentant de la population au Nord de Central Park : il remet en cause l'élection à venir car les candidats ne sont pas représentatifs de la population de Manhattan. le général le remercie de son intervention et met fin à la discussion. Matty Roth se dit qu'il lui faut absolument parler à ce Parco Delgado. À la sortie, il le retrouve, entouré de ses gardes du corps. Delgado le traite immédiatement d'instrument et d'idiot. Puis il l'invite à le suivre, indiquant qu'il ne faisait que le chambrer, ce qui amuse beaucoup un de ses gardes du corps. Les informations relaient la mise en place du cessez-le-feu, ainsi que la création d'une liste de candidats, et les alliances qui se forment, pendant que Matty Roth discute avec Delgado dans l'appartement de ce dernier.


D'un côté, c'est facile pour le scénariste : il n'a qu'à reprendre les informations relatives à l'occupation de territoires par les États-Unis, par exemple en Irak, et à relever les principaux événements qui y sont survenus. Il a ainsi une liste d'histoires toutes prêtes pour sa série. le lecteur peut lui aussi relever ces éléments dans cette histoire : un processus de cessez-le-feu, la présence incongrue d'une entreprise privée américaine à la table des négociations, le mécontentement de la population du territoire occupée, la participation d'individus au passé douteux comme candidats aux élections, la formulation très orientée des informations par la presse et les journalistes qui appartiennent plutôt à la nation occupante qu'à la nation occupée, l'arrivée d'experts en politique pour manipuler l'opinion publique, l'allégeance incertaine de la population, l'utilisation de la force armée de manière officieuse que ce soit par l'occupant, ou par des factions antagonistes indigènes, sans oublier une tentative d'assassinat sur un candidat gênant pour faire bonne mesure. le pire est que Wood n'a pas besoin d'exagérer et que le lecteur a la conviction qu'il est encore en-dessous de la réalité qui dépasse de loin la fiction. Comme dans les tomes précédents, le fait que tout ça se déroule sur le territoire des États-Unis pendant une guerre opposant deux camps américains, change complètement le ressenti. le lecteur américain et européen se sent tout de suite beaucoup plus impliqué par le fait que ce soit des intérêts qui s'opposent au sein d'un même pays occidental. Cet éclairage rend le lecteur beaucoup plus concerné.


Riccardo Burchielli assure la mise en images de tout ce tome. le lecteur remarque que la collaboration entre lui et le scénariste est beaucoup plus organique, beaucoup plus fluide. Brian Wood se repose plus sur lui dans des pages avec très peu de texte, pour que la zone démilitarisée prenne la dimension d'un personnage à part entière. le lecteur observe la silhouette de gratte-ciels en arrière-plan, la façade reconnaissable de l'immeuble Cooper Union dans East Village, la structure métallique du pont de Brooklyn, les rives de la rivière Hudson, l'arc de triomphe et la colonnade du pont de Manhattan, le quartier de Washington Heights, Madison Square Park, une grande artère de Chinatown. Il ne s'agit pas simplement de se servir de photographies pour référence : l'artiste sait montrer des endroits habités, fréquentés, souvent marqués par les impacts, voire partiellement détruits ou en reconstruction. de même, il suffit de regarder les personnages pour savoir à quelle partie de la population ils appartiennent, et même dans quel quartier ils vivent. le dessinateur a travaillé pour concevoir un registre de vêtements pour les habitants de la DMZ, avec des différences notables en fonction de leur appartenance ethnique. Les uniformes militaires sont réalistes et montrent bien la distinction entre les différents grades. le tailleur chic de Madeleine Mastro indique au premier coup d'oeil qu'elle vient de l'extérieur. le choix de vêtement de Parco Delgado est très étudié, reflétant à la fois son origine populaire et ethnique, une vraie déclaration en soi, sans parler de sa manière de tenir un micro.


Riccardo Burchielli sait tout aussi bien insuffler une personnalité à chaque personnage, que de la vie. Dans ce tome, Matty Roth a gagné en assurance et en agressivité : il suffit de le voir répondre à un journaliste ou prendre part à l'action pour le comprendre. En regardant Zee Hernandez, le lecteur perçoit qu'elle est toujours aussi autonome, mais aussi qu'elle attend une forme d'engagement de la part de Matty Roth, et il le voit sans avoir besoin de lire les dialogues, grâce à son langage corporel, à la direction d'acteurs de l'artiste. Madeleine Mastro est impressionnante dès sa première apparition : tirée à quatre épingles, très maîtresse de son image, très professionnelle, quasiment impossible à déstabiliser. Bien sûr, Parco Delgado est un spectacle irrésistible. le dessinateur a dû concevoir un personnage charismatique, populaire, ambigu, sans être démagogue. C'est une extraordinaire réussite visuelle : son apparence combine un mixte entre un rappeur et des touches hispaniques, avec un cynisme né de l'expérience, sans verser dans une opposition de principe sans rien à proposer. le lecteur voit un adulte d'expérience, rompu à l'exercice politique, à la rhétorique, à l'exhortation des foules : un charisme convainquant, avec une part d'ambiguïté qui fait planer un doute sur son objectif réel, sur son passé. Parco Delgado n'est pas simplement plausible comme chef politique : il est évident et naturel, une réussite visuelle extraordinaire.


Il n'est pas possible de réduire cette histoire uniquement à une transposition du processus d'instauration d'un cessez-le-feu copié à partir des articles de journaux dans une région réelle. Comme à son habitude, Brian Wood insuffle lui aussi une personnalité crédible et complexe à ses personnages. Matty Roth continue d'être un journaliste avec des convictions, sans risque d'être blasé. Il a pu constater dans les épisodes précédents comment les États-Unis et les armées des États Libres manipulent l'information pour leur avantage, et accomplissent des missions aux objectifs souvent inavouables. Il n'a donc pas grand espoir que la promesse d'élection aboutisse à un gouvernement provisoire bénéfique aux habitants de Manhattan. Dans le même temps, le discours bien rôdé de Parco Delgado comprend une saveur populiste, mais semble honnête dans sa démarche. Roth décide donc de prendre parti, de s'impliquer pour un candidat, quittant la zone plus ou moins confortable de l'impartialité journalistique. Bien évidemment, il se retrouve au milieu de conflits d'intérêt, que ce soit ceux de son père sur lequel ses employeurs de Liberty News font pression, ceux de sa mère qui arrive sans être annoncée, des États-Unis, des armées des États Libres, mais aussi de Parco Delgado. Il sait bien que les dés sont pipés qu'aucune partie ne joue franc jeu. Son idéalisme se heurte à cet état de fait : son engagement pour le candidat Delgado repose sur la franchise et l'honnêteté de ce dernier. Or ses actions montrent qu'il utilise les mêmes techniques que les autres, les mêmes subterfuges, les mêmes stratégies de manipulation. Est-ce que cela signifie pour autant que ses objectifs ou ses intentions ne sont que de la poudre aux yeux ? Dépourvu de tout angélisme, le propose du scénariste est pragmatique et adulte, à l'opposé d'un cynisme de pacotille.


Trop facile pour les auteurs : il leur suffit d'aller piocher dans les articles de journaux sur la vie dans un territoire occupé pour tenir un nouveau chapitre de leur série. Certes, c'est bien de ça qu'il s'agit, mais aussi de beaucoup plus. L'artiste donne vie aux différents quartiers de New York, et aux personnages, avec une véracité remarquable. le scénariste sait mettre en scène les différents niveaux de réalité, les enjeux des différentes parties, les jeux de pouvoir complexe qui sont à l'oeuvre, sans tomber dans la facilité du tous pourris. Il va encore plus loin en questionnant le principe même du vote démocratique dans de telles conditions.

Presence
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le 19 juil. 2020

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