Ce tome est le premier d'une saison en 2 parties. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016, écrits par Tom King, dessinés et encrés par Gabriel Hernandez Walta, avec une mise en couleurs de Jordie Bellaire. Les couvertures des épisodes 1 à 4 ont été réalisées par Mike del Mundo, celles des épisodes 5 et 6 par Marco d'Alfonso. Concomitamment à cette série, Scarlet Witch (Wanda Maximoff, l'ex-femme de Vision) a bénéficié de sa propre série écrite par James Robinson.
La famille Vision a emménagé au 616 Hickory Branch Lane, à Arlington en Virginie. Il y a le père Vision, la mère Virginia et les jumeaux Viv (la fille) et Vin (le fils). Ils se sont nouvellement installés dans cette banlieue, et ils reçoivent la visite de leurs voisins Martha & George (qui sont venus sans leur chien Zeke). Ils leur font faire le tour du propriétaire, avec en particulier le vase d'eau volant de Zenn-la, un briquet de 1943 ayant appartenu à Captain America, une plante du Mont Wundagre. Les jumeaux sont inscrits au collège voisin. En particulier Viv fait équipe avec Chris Kinzky pour les travaux pratiques de chimie.
Ce bonheur de banlieusards est vite perturbé. Vision et sa famille se sont fixés comme objectif de vivre une vie normale, sans trop savoir ce que cela peut recouvrir comme signification. Grim Reaper (Eric Williams) vient sonner à leur porte alors que Vision est en mission. Viv tombe dans le coma suite à sa blessure. Quelqu'un fait chanter Virginia. Vin blesse Chris Kinzky (le copain de Viv). Et faut-il dire de ses voisins qu'ils sont plutôt agréables ou gentils ?
Ce tome se découvre avec une très belle couverture de Mike del Mundo, teintée d'une légère ironie. Les 3 autres sont discrètement subverties avec la même élégance. Les 2 couvertures de Marco d'Alfonso sont plus directes dans leur approche, tout en conservant le même côté descriptif, et la même palette de couleurs. Les responsables éditoriaux de Marvel ont choisi d'instaurer une période de 8 mois après la fin de Secret Wars (2015) de Jonathan Hickman & Esad Ribic. Cela signifie que le lecteur retrouve ses héros préférés dans des situations partiellement inexpliquées (ou pas du tout expliquées au préalable). Libre à chaque scénariste de choisir ce qu'il préfère : tout expliquer au cours de sa première histoire, ou juste profiter de la liberté qui lui est donnée de partir d'une nouvelle situation et d'en explorer les possibilités. Tom King retient cette deuxième option : Vision a une femme et 2 enfants, et il n'y aura pas d'explication sur leur origine, sur les empreintes de cerveau qui ont servi à leur genèse.
Tom King n'évoque pas non plus le déménagement, ou l'installation à Arlington. Le lecteur découvre le pavillon de banlieue de la famille Vision à l'occasion de la visite de leurs voisins Martha & George. L'histoire évoque la vie d'étudiants des jumeaux (un peu ostracisés par les autres élèves), le boulot de liaison de Vision auprès du président des États-Unis, quelques missions auprès des Avengers, la vie plan-plan de Virginia en tant qu'épouse modèle découvrant et apprenant son rôle. Il ne faut pas oublier les soucis avec Zeke, le chien des voisins.
Gabriel Hernandez Walta dessine de manière descriptive, avec des contours délimités par des traits plutôt fins, pas toujours réguliers. Cela donne à la fois une impression de dessins précis, mais aussi pas entièrement finis parce que ces traits auraient pu être peaufinés. Il installe les personnages dans une banlieue tangible, avec un bon niveau de détails. Le lecteur peut apprécier les pelouses bien tondues, l'aménagement intérieur du pavillon de la famille Vision d'une méticulosité irréprochable, la salle de classe au mobilier standardisé, les classeurs et les armoires à tiroir dans le bureau du proviseur Sam Waxman, les appareillages technologiques dans le laboratoire de Tony Stark, ou encore le banal jardin à l'arrière de la maison de la famille Vision. Les environnements décrits par l'artiste sont normaux, sans luxe ostentatoire, une petite vie de banlieue.
Les êtres humains ont une apparence et une morphologie normale, sans exagération de leur musculature. Ils portent des vêtements qui correspondent à leur position sociale et à leur métier. Walta dessine les synthézoïdes avec une morphologie tout aussi normale, mais avec des yeux sans pupilles ni iris, et avec des traits sur le visage figurant la jonction de 2 plaques de peau artificielle. Les Vision portent également des tenues vestimentaires normales, ce qui conduit à une séquence des plus déstabilisantes quand Virginia aguiche son mari en petite tenue affriolante. L'artiste représente les Vision en train d'utiliser leur capacité : majoritairement celle de passer à travers des objets solides comme des murs et des portes fermées, ainsi que celle de pouvoir voler de manière autonome.
Jordie Bellaire utilise des couleurs légèrement ternies, avec parfois comme un léger lavis pour figurer les ombres portées. Cela donne une coloration qui prend une connotation sinistre quand la séquence évoque un acte brutal soudain, ou montre le résultat d'une destruction. Gabriel Hernandez Walta ne change pas de registre graphique, et continue de dessiner de manière concrète, sans exagération du mouvement, de la force, sans dépeindre ces démonstrations de force physique sous un jour romantique. Rien qu'à regarder les dessins, le lecteur ressent que l'histoire va prendre un tour sinistre et que cette tentative de faire comme les humains était une mauvaise idée à la base.
La grande réussite de Tom King dans ce récit est que le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser. Il se demande s'il doit attendre une explication concernant l'existence de Virginia, Vin et Viv. Il ne sait pas trop si la série va se conformer à la structure de base d'une histoire de superhéros, avec un supercriminelle à neutraliser. Il voit bien que le quotidien de la famille de Vision se lézarde à chaque fois que ça peut mal tourner, sans pouvoir en anticiper les conséquences. Le scénariste fait son malin en ajoutant des cellules de texte contenant les observations d'un narrateur omniscient qui sous-entend la survenance d'une catastrophe de grande ampleur. Il en rajoute une couche avec une prédiction d'Agatha Harkness qui assure également que Vision va s'en prendre aux Avengers.
Tom King n'a pas choisi la facilité en écrivant une série dont le personnage principal est un androïde d'un genre particulier, qualifié de synthézoïde. Il doit montrer régulièrement que Vision n'est pas un être humain, dans ses actes (par exemple il ne mange pas), mais aussi par son mode de pensée, plus calculé qu'émotionnel. Sur ce plan-là, il s'en sort très bien en jouant sur le fait que Vision a plus d'expérience que le reste de sa famille quant aux comportements humains. Le lecteur constate que régulièrement Virginia, Vin et Viv prennent leur décision de manière logique et rationnelle, en étant dépourvu d'émotions. Le scénariste doit cependant être attentif à ne pas trop en faire pour que le lecteur puisse éprouver le minimum d'empathie requis pour s'intéresser aux personnages. Il arrive effectivement à maintenir un équilibre instable entre ces 2 contraintes.
Le lecteur progresse dans l'histoire, attentif et amusé, malgré une intrigue qui semble aller nulle part. Il repère facilement les 2 phrases clé du récit, une pour Viv (Tout est question d'amour.) et une pour Vin (Es-tu normal ?). D'un côté le scénariste affiche clairement l'enjeu pour ces 2 personnages, ce qui va leur permettre de construire leur motivation. De l'autre côté, on ne peut pas parler de thématique originale pour une histoire de robots, d'intelligences artificielles. Le lecteur tombe sous le charme de 2 morceaux de bravoure. Le premier se situe dans l'épisode 5. Les 5 premières pages sont agrémentées de cellules de texte qui comprennent la célèbre tirade du juif Shylock, extraite de la scène 1 de l'acte III de Le marchand de Venise de William Shakespeare. Le parallèle avec la situation des jumeaux est troublant et tout à fait adapté.
L'épisode 6 repose sur une ambition encore plus grande puisque le scénariste se lance dans une explication vulgarisée du problème mathématique P=NP, l'un des sept problèmes du prix du millénaire. Il s'agit d'une notion mathématique des plus complexes, un problème pour lequel il y a un prix d'un million de dollars à attribuer à celui qui le résoudra. Tom King réussit à donner une version intelligible de ce problème, même si le lien avec la situation de la famille Vision n'est pas abouti. Toujours dans l'épisode 5, il se livre à un exercice de continuité (évoquer 37 occasions au cours desquelles Vision à sauver la Terre) très réussi, sous une forme originale, concise et ludique.
Le tome se termine avec les couvertures variantes réalisées par Ryan Sook, Vanesa del Ray, Tula Lotay, Dale Keown, Christian Ward, Michael Cho.
Ce premier tome propose une narration graphique personnelle et de qualité, avec une ambiance de banlieue américaine crédible et vaguement anxiogène, en cohérence avec l'histoire. Tom King tire parti de la situation des superhéros Marvel après Secret Wars, et plonge Vision dans une vie de famille en banlieue. Le scénariste sait utiliser les conventions de ce genre de récit pour les mettre au service de sa narration, tout en introduisant un point de vue original qui évite les clichés. Néanmoins, le lecteur se rend compte qu'il participe à une lecture ludique qui manque parfois un peu d'émotion.