Même un long voyage commence par le premier pas.

Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre, et au long cours (37 tomes au début 2015). Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Il s'agit d'un manga en noir & blanc, dans une édition avec un sens de lecture à la japonaise, de droite à gauche. Elle est prépubliée dans le magazine Weekly morning depuis 1998.


L'histoire débute juste après la bataille de Sékigahara (20 et 21 octobre 1600) qui marque la fin de l'époque Sengoku et le début de l'époque d'Edo. Sur le champ de bataille, 2 jeunes hommes (17 ans) recouvrent leur esprit, se relèvent et s'éloignent, en essayant d'échapper aux soldats qui patrouillent pour repérer les fuyards. Il s'agit de Takezo Shinmen (qui prendra plus tard le nom de Miyamoto Musashi) et Matahachi Hon'Iden (qui usurpera plus tard le nom de Kojiro Sasaki).


En essayant de regagner leur village, ils sont attaqués par des soldats qu'ils tuent avec force. Blessés eux-mêmes, ils sont recueillis par Oko (une femme) et Akemi, sa fille adoptive (15 ans). Ils passent quelques jours dans leur maison, en profitant de leur hospitalité. Puis Takezo Shinmen décide de rentrer dans son village.


Un lecteur non averti se demande bien dans quel genre de manga il est tombé. Le dessin est de nature réaliste, très détaillé, parfois un peu chargé. Les personnages ne sont pas particulièrement sympathiques. Takezo et Matahachi se battent comme des adolescents enragés, sans rien craindre et sans égards pour leurs opposants. Les sabres tranchent, le sang gicle. Ce n'est pas gore, mais c'est violent, brutal et soudain. L'histoire avec Oko et Akemi ne va nulle part. Le retour au village est déconcertant. On ne sait pas très bien pourquoi les soldats mettent un tel acharnement à poursuivre Takezo Shinmen. Les moments plus calmes sont très délassants, avec une attention particulière portée à la nature (par exemple, une très belle case d'un regard s'attardant sur un écureuil).


Pour pouvoir apprécier ce récit, il vaut mieux savoir de quoi il retourne. Takehiko Inoué adapte un roman très célèbre au Japon comprenant 2 tomes : La pierre et le sabre & La parfaite lumière d'Eiji Yoshikawa datant de 1935. Ce roman raconte la vie de Miyamoto Musashi, samourai, auteur du Traité des cinq roues - Gorin-no-sho. Il faut donc avoir conscience qu'il s'agit du premier tome d'une longue adaptation d'un roman lui-même conséquent en termes de pagination, et ayant accédé au rang d'œuvre de référence.


Il vaut mieux savoir également avant de commencer sa lecture que Takezo Shinmen est le nom initial du futur Miyamoto Musashi. Ainsi averti, le lecteur peut alors mieux apprécier le récit. Il sait qu'il ne s'agit que du début d'une longue geste suivant Takezo au fil des années, dans son long apprentissage, dans son cheminement intérieur. L'enjeu pour l'auteur est de donner sa version, son interprétation du roman. Il lui faut commencer par présenter les personnages, et les caractéristiques principales de leur personnalité, ainsi que leur environnement.


Dès le départ, Takehiko Inoué se repose sur les connaissances préalables du lecteur, des évidences culturelles pour un japonais (pour un européen, un peu moins). En particulier, il faut avoir une vague idée de ce que fut la bataille de Sékigahara et de ce qu'elle représente (un petit détour par une encyclopédie en ligne fournit les informations nécessaires). Pour le reste, l'auteur fournit les informations nécessaires au fur et à mesure du récit, au compte-goutte. Il est donc difficile de se faire une idée des personnages principaux en si peu de pages (près de 300 pages quand même, tout est relatif) et il faut avoir à l'esprit qu'il ne s'agit que du tout début du récit.


Pour autant, la narration est fluide et permet d'assimiler les informations progressivement en ce qui concerne les personnages : de Takezo Shinmen à Tenma Tjusikazé, en passant par la grand-mère Osugi Hon'Iden, sans oublier la jeune Otsu. Par contre le lecteur qui ne connaît par "La pierre et le sabre" n'a pas d'indication sur ce qu'il doit retenir ou non.


Dès la première page, le lecteur est saisi par la puissance d'évocation des images. Tazeko reprend connaissance sur le champ de bataille, sous la pluie, alors qu'une troupe de cavaliers foncent droit sur l'endroit où il gît. La sensation est saisissante, l'empathie est totale envers ce jeune qui manque de se faire piétiner par des cavaliers qu'il ne peut pas voir. Il s'en suit une scène plus calme permettant d'apprécier l'herbe et les arbres. Puis un soldat arrive et c'est un carnage d'une sauvagerie indicible où le sang gicle des plaies béantes. L'encre noire figure admirablement bien la pression artérielle et la viscosité du sang. L'armure du soldat est d'une authenticité sans faille.


Tout au long de ce premier tome, le lecteur est placé à côté des personnages, dans leur environnement représenté de manière détaillée et vivante, dans une reconstitution historique de qualité. Il fait la connaissance de personnages à la personnalité plus ou moins affirmée, et il détecte déjà les bizarreries qui éloignent Takezo et Matahachi de héros traditionnels, la sauvagerie pour l'un, une propension à l'imposture pour l'autre. Dès ce début, le lecteur constate que le récit s'élève au-dessus d'un simple roman d'aventure, ou d'une dichotomie opposant le bien au mal, les gentils aux méchants.


Pour un lecteur qui découvre Miyamoto Musashi avec ce manga, il est possible qu'il soit déconcerté par le manque de repères narratifs évidents, tels que l'objectif des personnages, ou une dynamique basique. Il lui faut accorder sa confiance à l'auteur (et à la cohérence du roman), en essayant de déterminer ce qui dans cette suite chronologique de scènes doit être retenu pour la suite, et ce qui n'est que péripétie passagère. Il est alors difficile de hiérarchiser les informations, faute de connaître la suite.


Pour un lecteur ayant lu La pierre et le sabre, il prend plaisir à découvrir cette interprétation qui refuse la facilité et qui contient déjà les germes des valeurs et des thèmes qui seront développés par la suite. La sauvagerie des affrontements n'a rien de gratuite, et la férocité de Takezo ne relève pas d'un artifice narratif facile. La volumineuse pagination permet à l'auteur de donner vie à chaque personnage, chaque endroit, de poser chaque situation au rythme voulu.


Dans les 2 cas, le lecteur plonge dans une évocation historique très réussie, découvre des personnages bien campés, et suit les tribulations brutales de Takezo Shinmen avec curiosité. Il peut penser que ce dernier deviendra un grand samouraï redoutable au combat du fait de sa férocité. En fait, ce voyage qui vient à peine de commencer relève d'une quête spirituelle essentielle, de grande ampleur.

Presence
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le 10 juin 2019

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