Mort gâchée
On dit souvent que Walking Dead tourne en rond, n'a plus rien n’a raconté et c'est vrai, qu'après 28 tomes cela ce fait sentir, effectivement à part de nouvelles communautés (le prochain arc) pas...
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le 3 nov. 2017
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Comics de Robert Kirkman, Cliff Rathburn, Stefano Gaudiano et Charlie Adlard (2017)
Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 27 : Les Chuchoteurs (épisodes 157 à 162) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 163 à 168, initialement parus en 2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris apposées par Cliff Rathburn.
Au sein de l'enceinte de la communauté d'Alexandria, les habitants peuvent entendre le mugissement de la marée de zombies qui sont en train d'avancer vers leur ville. Rick Grimes commence à prendre des décisions. Il accepte qu'Andrea prenne la tête d'un groupe qui va réaliser une sortie pour dévier des sous-groupes de zombies dans d'autres directions. Le groupe se compose d'Andrea, d'Eugene Porter, de Michonne, de Paul Monroe et de Dwight. En haut du rempart, Annie avertit les habitants aux aguets que le front de zombies arrive. Rick donne ses ordres : pas de coups de feu pour ne pas provoquer les zombies, Negan demande comment il peut aider, Rick lui indique qu'il est hors de question de lui confier une arme et qu'il doit rester en dehors de ses pattes. La horde de zombies s'approche du mur de clôture et les premiers rangs tombent dans le fossé creusé tout autour. Il ne tarde pas à être comblé.
De son côté, le groupe d'Andrea se rend compte qu'il ne réussira pas à diviser le groupe de zombies en plusieurs petits groupes qu'ils pourront détourner. Resté avec Paul Monroe, Michonne descend de cheval et commence à débiter du zombie, un par un. Elle indique à Paul Monroe qu'il doit surveiller ses arrières, et qu'ils changeront de rôle quand elle commencera à fatiguer. Le groupe de Rick se tient devant la grille qui protège l'entrée de la zone d'Alexandria. Il leur explique qu'ils doivent tuer les tous les zombies à portée de main. Devant leur indécision, Negan perd patience, il s'empare d'un couteau et commence à abattre de la besogne, donnant l'exemple. Rapidement les cadavres s’amoncellent sur les grilles, mais la pression ne diminue pas et va même en augmentant. Les grilles cèdent et s'écroulent vers l'intérieur de la communauté libérant le passage pour la horde de zombie qui envahit la ville.
Comme à chaque fois, le lecteur est impatient d'entamer sa lecture pour savoir ce qui va se passer. Robert Kirkman & Charlie Adlard ont beau user de grosses ficelles... Ils ont beau concocter des images tragiques préparées longtemps à l'avance pour un impact maximal... Ils ont beau jouer avec les nerfs du lecteur sur des prises de risques où un personnage peut mourir à tout moment de manière totalement arbitraire... Il n'empêche qu'ils utilisent ces dispositifs narratifs éculés avec dextérité et que le lecteur revient pour connaître la suite, que ce soit le sort des personnages auxquels il est attaché, que ce soit le déroulement de l'attaque des zombies, que ce soit l'évolution des intrigues secondaires. Le scénariste réussit à ne pas faire retomber le soufflé, à ce que le rythme de succombe pas à l'inertie du nombre des personnages ou de fils narratifs. Comme d'habitude, scénariste & dessinateur (sans oublier l'encreur) travaillent en concertation, et le lecteur pourrait croire que la série est réalisée par une unique personne, avec quand même un fort goût pour les dialogues dans certains passages.
Bien évidemment, le fil narratif principal réside dans l'attaque des zombies, ou plutôt dans leur marche automatique sur le village d'Alexandria. Les auteurs ont montré dans le tome précédent, l'ampleur de la horde et le lecteur a bien compris que les humains ne font pas le poids. La page d'ouverture est saisissante, non pas à cause d'une case avec des zombies à perte de vue, mais à cause du bruit. Ça peut paraître paradoxal de parler de son dans un média visuel, mais en fait Rick Grimes réagit au bourdonnement sourd généré par l'océan des morts, et le dessin de son visage ne laisse pas de place au doute quant à l'angoisse qui l'étreint. Les pages suivantes montrent les personnages en train de se mettre d'accord sur les actions à entreprendre séance tenante. Le lecteur peut lire leur détermination et leur conviction sur leur visage, alors qu'ils se déplacent qu'ils échangent des paroles sèches et rapides. Adlard est toujours aussi bon metteur en scène, pour s'accommoder du volume de paroles et montrer ce que font les personnages en même temps. Cette séquence débouche sur un dessin en pleine page, spectaculaire à souhait, l'une des marques de fabrique de la série : le groupe mené par Andrea s'élançant au galop en sortant de la zone d'Alexandria.
L'enjeu de la séquence suivante est de montrer au lecteur l'avancée de l'océan de morts. À nouveau, les prises de vue d'Adlard sont impeccables : une vision d'ensemble depuis le haut de la muraille d'enceinte pour que le lecteur puisse voir ce que voit Annie, puis des plans rapprochés sur les personnages se demandant ce qu'ils peuvent faire, pour donner l'impression qu'ils sont coincés, confinés dans l'enceinte. Le dessinateur consacre ensuite 2 pages contenant chacune 3 cases de la largeur de la page, à l'avancée muette des zombies. Le lecteur peut apprécier l'humour morbide des corps de zombie comblant le fossé, se faisant piétiner par ceux de derrière, sans aucune arrière-pensée, perdant encore d'autres bouts de corps décomposé (comme un globe oculaire), avec des détails discrets comme une belle basket bien lacée. Adlard et Gaudiano privilégient une représentation de zombies comme une masse d'individus anthropoïdes dénués de caractéristiques permettant de les individualiser. Ils présentent tous les mêmes marques de peau déchirée, les mêmes vêtements sales et troués. Les images jouent sur l'effet de masse, pour renforcer l'idée de marée qui emporte tout sur son passage. À chaque fois qu'ils apparaissent, les zombies forment une masse compacte, donnant l'impression d'un flux continu et sans fin que rien ne peut endiguer.
Cet océan de zombies provoque une inquiétude grandissante et les visages expriment ce sentiment à de degré divers. Le lecteur peut voir que l'encrage de Gaudiano se fait de plus en plus naturel sur les crayonnés de Charlie Adlard, avec une amélioration dans la précision, qui se retrouve dans les nuances des états d'esprit et des sentiments lisibles sur les visages des personnages. Il reste peut-être encore une proportion un peu trop importante d'individus avec la bouche plus ou moins grande ouverte, encore que cela puisse se comprendre au vu de l'intensité de leurs émotions face au danger. Mais d'une manière générale, les dessins expriment toute la gamme d'émotions mises en jeu. Le lecteur peut voir dans les postures et dans les visages la tension qui habite certains protagonistes, ainsi que leur détermination, avec des visages durs et fermés d'individus tendus vers l'objectif ou l'action qu'ils ont en tête. Le lecteur peut aussi voir l'inquiétude, la méfiance, l'assurance, et même parfois le calme. Le déroulement des événements ménage de nombreux face-à-face dans lesquels se joue bien plus qu'un simple échange d'information ou la prise d'une décision.
Bien évidemment, le lecteur guette les apparitions de Negan, savourant à l'avance son assurance, sa capacité à prendre le dessus sur presque n'importe quelle situation. La première fois, il est cantonné en fond de case, comme un individu secondaire et même avec un train de retard sur les événements. La seconde fois, il apparaît sur 2 pages et donne l'exemple en enfonçant une arme blanche dans tous les crânes de zombies à sa portée. Le lecteur constate ses gestes assurés, le rythme maîtrisé. Par la suite, Rick Grimes et lui se réfugient dans une maison, pour se mettre à l'abri des zombies, et le lecteur a le droit à une séquence intense de plusieurs pages pendant laquelle Negan tente de convaincre Rick Grimes, de la sincérité de son comportement. En scrutant les gestes et les mimiques de Negan, le lecteur se rend compte qu'il se retrouve aussi indécis que Rick Grimes.
D'un côté, Negan reste le répugnant personnage qui a éclaté un crâne à coup de batte de baseball par 2 fois, en s'assurant que tout le monde soit contraint de regarder cette boucherie écœurante. À plusieurs reprises, il a fait en sorte de faire souffrir ses ennemis pour être craint, pour s'assurer d'une obéissance totale, nourrie par la peur. Adlard & Gaudiano lui ont conservé son teeshirt blanc immaculé et son perfecto noir, établissant ainsi une continuité avec l'individu meneur des Sauveurs, renforçant visuellement le fait qu'il s'agit du même homme, inchangé. Comme précédemment, Negan reste un individu qui laisse apparaître ses émotions, son état d'esprit, sans beaucoup de filtres. Les autres autour de lui ressentent ces émotions, à en être presque submergés. Sa présence dans chaque case conserve cette incroyable intensité, qui repousse au second plan tous les autres, même Rick. Le lecteur appréhende le moment où la force animale de Negan, son magnétisme va vraiment submerger les autres, lui permettant d'assurer son ascendant naturel. C'est un réel tour de force des artistes que d'arriver à faire passer cet élan vital, ce caractère qui sort de l'ordinaire. Ils accomplissent ce tour de force à chaque fois. Negan se retrouve face à des membres du groupe des sauveurs à la fin de ce tome, et à nouveau sa force de conviction emporte tout sur son passage faisant oublier ses pires crimes, même la punition avec le fer à repasser.
D'un autre côté, le lecteur ne pas s'empêcher de penser que mise au service de Rick, la force de Negan permettrait d'accomplir des progrès durables en un rien de temps. Il est prêt à tout pardonner à Negan pour le voir seconder Rick Grimes, et ce dernier sent ses réticences et ses précautions fondre comme neige au soleil, l'une après l'autre. Avec ses émotions si facilement lisibles, Negan provoque une forte empathie, arrachant une forme de sympathie au lecteur. À nouveau ce processus ne fonctionne que grâce à la direction d'acteur extrêmement juste, rendu par les dessins. Le jeu d''acteur de celui qui incarne Negan donne l'impression au lecteur d'être face à un individu en chair et en os. Quand Negan s'adresse aux Sauveurs, le lecteur boit ses paroles, admire la manière dont il s'y prend pour capturer l'attention de son audience, pour les emmener avec lui dans sa rhétorique, ses gestes, ses postures. L'existence et le comportement de ce personnage sont aussi évidents que naturels.
Avec une telle équipe artistique, Robert Kirkman peut presque tout se permettre. Il peut faire croire que Rick Grimes laisse le doute l'emporter en écoutant Negan. Il peut faire croire que la plupart des individus respectent Rick Grimes pour sa sagesse, pour la perspicacité pénétrante de ses choix pour la marche à suivre par la communauté, le cap à garder. Il peut faire croire qu'une poignée ne parvient pas à accepter son mode de gouvernance et souhaite revenir à l'usage de la force. Bien sûr il reste des moments énormes tant sous la forme de révélation que sous une forme visuelle dans ce tome, et le divertissement reste assuré par des pages spectaculaires. Comme dans les tomes, précédents, le lecteur sent bien à 2 ou 3 reprises qu'il est soumis aux décisions arbitraires de l'auteur, que Robert Kirkman a conçu une situation dans laquelle il peut décider de tuer n'importe quel personnage, ou de faire basculer la situation par une révélation d'un personnage, ou au contraire le contraindre à se taire, à différer cette révélation par la survenance d'un événement sorti du chapeau ou peu s'en faut. Par exemple, dans une scène qui dure 8 pages, un personnage tombe à la renverse et sa tête heurte l'arrête d'une table. Le lecteur se rend bien compte que le mouvement qui a permis de le repousser aurait très bien pu s'avérer moins efficace, ou que la chute du personnage aurait pu juste se solder par une perte de connaissance, plutôt que par un décès. Il se dit alors que le scénariste manque vraiment de finesse, tout ça juste pour jeter de l'huile sur le feu entre l'agresseur et les autres membres de la communauté de la victime. Même Adlard réalise une mise en scène un peu poussive, pour bien montrer le choc de la tête contre la table.
Quelques pages plus loin, Kirkman met les pieds dans le plat quant à l'incompréhension entre l'agresseur tentant de convaincre et les amis du défunt, alors qu'il n'y avait aucun témoin à la scène. Le lecteur s'apprête à conspuer le scénariste pour son manque de finesse. Il découvre alors une séquence qui lui fait tout oublier, et qui le convainc de passer l'éponge sur cette maladresse, au vu de l'intelligence de la suite. Top fort ! En plus, Robert Kirkman mène à son terme le déferlement de zombies d'une manière logique et quand même pleine de suspense. Il teste le caractère de ses personnages face au combat, avec des passages plus subtils comme la volonté d'Eugene Porter de continuer à prouver son utilité et son courage, comportement présent depuis plusieurs tomes. Bien sûr il survient plusieurs morts dont certaines imprévisibles. Le scénariste en profite pour développer la nécessité de l'entraide d'une manière inattendue, avec une forme de soutien touchante pouvant faire pleurer les plus sensibles, pour mettre en scène la nécessité de tenir bon pour continuer.
Ce tome délivre au lecteur tout ce qu'il attend : l'avancée inexorable de la marée de zombies, le combat avec un niveau de risque inimaginable des affrontements homériques, des protagonistes qui existent avec leur personnalité propre, des images chocs, une direction d'acteur irréprochable, une mise en scène d'une grande clarté et d'une grande conviction, des morts, et un fond de réflexion sur les enjeux d'une société. Comme à chaque fois, la force de conviction narrative est impeccable et les auteurs surprennent et déstabilisent le lecteur. Ils réussissent même à glisser des propos décalés, comme cette réflexion écologique sur le fait de se servir de l'océan comme de poubelle, en déversant les zombies dedans, ou encore une forme de fellation avec les pieds.
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Créée
le 25 juil. 2019
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