A la question enfin posée par son amant (ils se connaissent depuis un bout de temps), "c'est quoi ton métier ?", Sean répond "je suis séropo". Mine de rien, cet échange anecdotique résume bel et bien le coeur de 120 battements par minute : pour ces militants d'Act Up, le sida est bel et bien une activité à 100%, que ce soit dans toute l'étendue de l'action militante ou dans la lutte face à leur propre maladie. De leurs vies en dehors de l'action, nous ne saurons rien.
Robin Campillo et sa troupe de comédiens (tous justes, tous formidables) nous plongent au début des années 90 à une époque qui apparaît aujourd'hui comme pré-histoire en matière de la connaissance du sida, de politiques publiques contre le VIH et même de vision de l'homosexualité. Le cinéaste nous prend la main, arrive à nous expliquer les enjeux d'alors, lancer intelligemment des pistes de réflexion sans avoir recours à un didactisme lourdingue. Son film, hymne au militantisme et à la jeunesse, une jeunesse sacrifiée et réduite au combat pour ne pas mourir, met en scène une lutte collective de chaque instant ponctuée par des actions ou de réunions de préparation de futures actions ou de débriefing des anciennes: dans ces moments de démocratie participative, le récit des participants aboutit visuellement à multiplier les points de vue et à traduire la réalité de manière collective.
Dans sa mise en scène, Campillo traduit bien ce combat permanent qui prend toute l'énergie de ces jeunes pris dans une course contre la montre contre la mort. Mise en scène de l'urgence, visuellement resserrée sur les militants, filmée à hauteur d'hommes (les plans larges se comptent sur les doigts d'une main), tout confère à focaliser le champs de vision sur leur action au sein d'Act up : le reste n'existe pas et même dans les scènes de discothèque ou de sexe, le sida est présent. Campillo soigne d'ailleurs ses transitions et abat visuellement les cloisons entre une piste de danse, une action militante et un lit. Tout se mêle, se mélange avec toujours en tête la maladie.
Dans ce grand film collectif, Campillo va petit à petit faire apparaître un couple ; son film va suivre Nathan et Sean, une histoire d'amour - magnifique - condamnée dès le début par la maladie. Condamnée à ne pouvoir pas être insouciant, condamnée à la gravité, condamnée à la mort. Mais pour ces militants-nés, l'intimité d'un couple redevient vite collective et devant le corps mort de l'un d'eux, rapidement, il n'y a plus que son amoureux et que sa mère mais toute le groupe - comme un seul coeur qui bat. Et dans un geste désespéré de courage et d'opiniâtreté, même les cendres de l'ami mort, deviennent une arme pour gâcher le cocktail mondain d'une compagnie d'assurance. 120 battements par minute, comme un coup dans le plexus qui touche à l'essentiel : l'amour, la mort, la maladie, l'espoir, l'action, la jeunesse.