Ce film documentaire au matériau de base exceptionnel avait tout pour m’intéresser. Seulement, Jia Zhang-Ke a tenté dans sa réalisation une formule qui de mon point de vue gâche l’ensemble : un alliage inédit de documentaire et de film. De fait, les images documentaires et les ouvriers interrogés sont mélangés à des acteurs interprétant d’autres ouvriers. Le contraste est d’ailleurs d’autant plus frappant (pour les chinois) que ces derniers ne sont pas des acteurs de second ordre mais d’illustres stars du cinéma chinois. Dans le cas où l’on ne les connaît pas et l’on n’en est pas averti, je suppose que l’illusion passe. Mais pour ceux qui comprennent (ce fut mon cas), les parties jouées perdent instantanément leur attrait.
Curieuse impression dont on peut tirer un d’enseignement : on ne mélange pas documentaire et film impunément ! Le documentaire est le vrai. On sait que le film est le faux plus vrais que le vrai, et on l’aime pour ça. Et bien au contact du documentaire, il se démonétise complètement. J’avais de fait de la peine à me concentrer sur les compositions des acteurs (pourtant excellents) tant leur authenticité était remise en cause (et par ailleurs la suspicion s’installait sur tous les intervenants : ces ouvriers sincères n’étaient ils pas aussi des acteurs ??).
Quelle mouche a donc piquée Jia Zhang-Ke pour choisir une telle formule ? On peut se le demander. Je le mets sur le compte d’un jeu sur la forme dont les festivals et critiques occidentaux peuvent raffoler. Témoin, ce clin d’œil de Joan Chen au spectateur quand elle interprète une ouvrière dont tout le monde dit « elle est le sosie de Joan Chen ». Et pourquoi pas après tout : ça peut amuser. Pour ma part je reste bien plus intéressé par le destin contrarié de ces ouvriers de Chengdu et je suis navré que cet artifice tende à les faire oublier.