Après Missing (une pâle copie du cinéma d'horreur déjà pas fameux des frères Pang) et All about women, Tsui Hark a comme souvent besoin de renouveler son cinéma et la flamme fantôme du titre lui permet de renaître phénix une fois de plus. L'intrigue rappelle l'enquête d’époque faussement surnaturelle de Butterfly murders à l'origine de sa filmographie.


Physique tout d’abord, avec une moustache-barbichette, et par de nombreux (mais discrets) rappels à sa filmographie, les parallèles entre le détective éponyme et le réalisateur sont multiples. Après quelques années de disgrâce, le premier pour s’être révolté, le second suite à une série de navets, les revoilà tous deux au centre de la cour. Au VIIème siècle, Dee enquête sur des combustions spontanées liées à un complot contre l’impératrice Wu qui exécute alliés et opposants comme tout bon dirigeant chinois. Une quête de vérité très Rashōmon, puisque plusieurs plans hommages à Kurosawa (et à We’re going to eat you) montrent un soleil plus tueur que révélateur.


L’enquête policière impose une contrainte didactique à Tsui Hark. Les expositions qu’il coupe allègrement quand il les estime trop longues et déjà-vu (Time and tide par ex) ou dynamite dans une dégénérescence spectaculaire (La séduction sur Carmen dans Le Festin chinois 1995) sont ici nécessaires à un récit complexe. La thématique du double jeu, du masque et des faux semblants pousse à bout l’idée de dissimulation et dualité.
Pourtant plusieurs trouvailles dynamisent certains de ces nombreux passages obligés en les mêlant à l’action afin de garder le récit clair sans l'alourdir : dialogues pendant des déplacements à pied ou à cheval, une alternance de chuchotements et de joute verbale en échangeant des coups à la fois simulés et agressifs... L’évolution des personnages se fait aussi à travers les combats. La rencontre de Dee et l’impératrice armée de sa richesse ostentatoire (de gros cailloux aux doigts) est montée en alternance avec un combat de gladiateurs à armes lourdes, la violence de ceux-ci s’introduisant même à l’arrière-plan des personnages au point culminant de leur discussion. Similaire, le magnifique premier tête-à-tête de Dee et Jing’er, la favorite de l’impératrice chargée d’aider/surveiller le détective, rappelle le mélange séduction/agression des pugilats de L’Auberge du dragon (1992).


La dualité est tellement présente qu’elle déborde jusqu’à créer un film hybride dans sa conception entre construction de décors grandioses et création par ordinateur. Et s’il s’agit d’éclaircir un mystère, le voile sera aussi levé sur la création d’un film de Tsui Hark. À la manière des effets spéciaux réalisés avec un drap dans ses plus grands films (Zu les guerriers ou Green snake), les agresseurs consistent en un drap agité par des câbles (comme les acteurs d’ailleurs) dont il faut dévoiler la mécanique très Ray Harryhausen pour les vaincre.


Ce monde en pleine transition et à l'équilibre précaire nécessite un retour au film d'arts martiaux aux chorégraphies plus légères. Un style que Tsui Hark a abandonné au milieu des années 90 pour plus de brutalité (de The Blade à Seven swords). Comme à la grande époque de ses productions de films de sabre (d'Histoires de fantômes chinois en 1987 à Il était une fois en Chine 5 en 1994), les personnages donnent l'impression de flotter quand ils sautent de cheval en cheval, rebondissent sur les arbres ou les murs en les effleurant et chacun de leurs coups envoient voler gracieusement leur adversaire. La caméra suit chaque mouvement par un panoramique discret et la coupe montre les conséquences des actions ou la trajectoire des armes dans une mécanique bien huilée. Une efficacité plutôt bienvenue en 2010, surtout après 15 ans de cinéma d’action frénétique de plus en plus illisible.
Bien que plus sobre, les combats restent mémorables :



  • Des rondins (coucou Il était une fois en Chine) surgissent de l’eau avant de tout écraser en retombant puis servent d’armes et de trampolines pour un combat virevoltant sur l’eau.

  • Une bataille contre des daims enragés.

  • Un combat multipliant les ralentis et surimpressions intégrés de manière si fluide à l'action qu'ils dépassent le tic m'as-tu-vu.


Détective Dee mélange parfaitement l'aventure, l'enquête, la parabole politique et même un peu le méta pour raviver la flamme de son auteur. Il manque peut-être d'émotion, présente mais fugace dans un film vif. La suite, La Légende du dragon des mers jettera de l'huile sur cette flamme avec un rythme encore plus effréné et la 3D narrative et illustrative la plus brillante qui soit. Il aurait fallu un océan pour la contenir.

Homdepaille
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de Tsui Hark et Les meilleurs films de 2010

Créée

le 5 déc. 2019

Critique lue 146 fois

Homdepaille

Écrit par

Critique lue 146 fois

D'autres avis sur Detective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme

Du même critique

Stranger Things
Homdepaille
5

Critique de Stranger Things par Homdepaille

J'ai l'impression d'avoir regardé une série pour rappeler aux trentenaires à quel point les VHS c'était bien, à quel point Silent Hill et la Playstation c'était prenant à l'adolescence, et à quel...

le 11 oct. 2016

11 j'aime

La Femme de Seisaku
Homdepaille
10

L'agraire est déclarée

En 1965, Masumura, qui travaille depuis quelques films à confronter la mythologie grecque avec la société japonaise, débute un cycle sur la guerre et transforme la femme en lutte pour son...

le 6 sept. 2022

10 j'aime

1

Possession
Homdepaille
10

Un tiens vaut mieux que deux Shining

Possession débute dans une austérité trompeuse. Les protagonistes sont tristement introduits. Isabelle Adjani en robe grise et châle noir et Sam Neill agent secret impassible, un couple sans intimité...

le 12 avr. 2019

10 j'aime

7