Voir un film en VF ne favorise ni l’immersion dans l’atmosphère dudit film ni l’appréciation globale de l’œuvre. Faute de mieux, j’ai vu Shivers en Français (merci Amazon Prime). La mise en scène de Cronenberg est si brillante que malgré une VF gênante, les frissons m’ont submergé.
Troisième œuvre du cinéaste canadien, et première vraie réussite. Cette réussite tient déjà de son traitement narratif, et de l’éloignement de l’onanisme intellectuel qui habitait ses deux films précédents. On pourrait qualifier ses deux premiers films de cérébraux, son troisième est viscéral. D’ailleurs, Hobbes (le personnage clé de l’histoire puisqu’une dans une certaine mesure, il est l’élément perturbateur) disait de l’Homme qu’il était trop cérébral, mais pas assez viscéral.
Comme pour Stereo et Crimes of the Future, Shivers est un huis-clos. Par essence, le huis-clos est oppressant, frissonnant et suffocant. Cependant, si l’espace et le temps ne sont pas parfaitement gérés, le huis-clos peut être également une source d’ennui. Ce fut le cas dans ses deux films expérimentaux, mais ce n’est absolument pas le cas ici.
Hobbes, le mal est fait
Comme je l’ai évoqué plus haut, Hobbes est l’élément perturbateur, celui qui à cause de son action va plonger tout un immeuble tranquille, dans le chaos. Au cours d’une expérience scientifique qui bien qu’idiote sort de l’ordinaire, il a inséré un parasite dans le corps d’une fille qui fait figure de cobaye (thème récurrent dans la filmographie de Cronenberg). Ne pouvant plus contrôler sa création, Hobbes finit par se suicider mais les traces de son expérience ne vont pas tarder à faire de l’homme un loup pour l’homme. Une fois l’individu affecté par ce parasite, il devient un prédateur sexuel.
La tension monte à mesure que les individus de l’immeuble sont contaminés. Cronenberg ne précipite pas les choses, et au fur et à mesure, le film devient un survival. Au départ, il s’agissait de lutter contre un parasite, à la fin il s’agit de lutter contre son vis-à-vis. La menace se lève, il faut tenter de survivre.
Cette idée de survival est bien entendue conjuguée aux codes du film de zombie. Plusieurs scènes jouent de ces codes ou les utilisent clairement : quand le protagoniste sort de l’immeuble et se retrouve à l’extérieur entouré par des zombies sexuels, qui marchent lentement sans pour autant avoir du sang dans la bouche et les bras parallèles au sol ou alors quand il fuit aux côtés de sa secrétaire (et infirmière) dans le parking sous-terrain.
Ainsi, Cronenberg joue des codes du film de zombie pour y insérer ses propres obsessions. Cronenberg, à travers les traits de l’infirmière énonce :
Tout est érotique. Toute chose a un côté sexuel.
Un individu devient un zombie après qu’il a été mordu par un zombie. Un corps étranger vient posséder un corps jusque-là sain. L’esprit ne contrôle alors plus rien, les êtres contaminés n’ont plus de capacités d’analyse, l’objectif étant de suivre son instinct animal, ici de prédateur sexuel.
En plus de revisiter les films de zombie, Cronenberg reprend à sa manière la scène de la douche de Psychose. Là où Hitchcock met en place une femme nue (c’est plus pratique quand on se lave) debout dans une douche, Cronenberg installe une femme couchée dans sa baignoire, en train de prendre un bain. Dans les deux cas, l’eau et le sang finissent par se mélanger. Néanmoins, chez Hitchcock, c’est le corps qui est meurtri, alors que chez Cronenberg, c’est l’esprit qui est perverti.
Shivers ne se limite pas à la revisite des classiques, il en annonce également. Comment ne pas penser à Alien, le huitième passager quand le parasite s’agite dans le corps des hommes ? Comment ne pas penser à Die Hard avec cette atmosphère de huis-clos où l’immeuble est un personnage à part entière ?
Finalement, Cronenberg réussit à exploiter particulièrement bien ses obsessions (alors qu’il les avait sous-exploitées lors de ses films expérimentaux) et une fameuse scène de The Brood n’est pas sans rappeler une scène de Shivers.
David Cronenberg, avec un petit budget réussit à nous donner des frissons, et rendre crédible une histoire invraisemblable. Le parasite (ou morceau de viande) provoque franchement le dégoût, et en aucun cas m’a semblé grotesque. Shivers est un film qui a 45 ans, mais dans son rythme et dans la gestion de la peur, n’a pas pris une ride. Avec ce troisième long-métrage, David Cronenberg installe son univers étrange, malsain et plein de chair et n’a pas fini de nous glacer le sang tout en étudiant les comportements humains.