2092, dans un monde proche de celui du Cinquième élément, tous les yeux sont rivés sur Nemo Nobody, un vieil homme de 118 ans qui est le dernier mortel sur Terre. Sa fin de vie fait l'objet d'une télé-réalité racoleuse et indécente qui ne le laisse jamais en paix.
Mais le problème de Nemo, c'est la mémoire : il ne sait pas qui il est, quelle vie il a vécue, quelles routes il a choisies qui l'ont amené au seuil de la mort. A la faveur d'une interview avec un journaliste, le vieillard va se replonger dans ses souvenirs et creuser les possibilités de destins qui ont/auraient pu s'offrir à lui. Avec pour carrefour initial, le choix cornélien de devoir trancher entre sa mère et son père se séparant sur le quai d'une gare.
C'est le premier film du Belge Jaco Van Dormael que je vois et sa découverte est une excellente surprise. Il y aurait beaucoup à dire sur ce film, tant sur le fond que sur la forme, car c'est une oeuvre prolifique qui nous est proposée, ouvrant à de multiples interprétations - que je me garderais cependant bien d'énumérer (on y passerait la journée).
Sur la forme, j'ai été vraiment bluffée par le montage nerveux, contemporain et dynamique qui nous fait aisément passer d'une époque à une autre avec une fluidité parfaite, tout en maintenant l'attention du spectateur sur plus de 2h30. Le scénario est d'une incroyable richesse, entrelaçant les différentes existences possibles de Nemo avec maestria et sans jamais ennuyer une seul instant. La mise en scène est variée et créative, la photographie également très soignée (les plans serrés sur les parties du visage et les scènes d'amour sont particulièrement réussis) et l'image rend très bien le parti-pris éminemment romantique de ce film qui est avant tout une histoire d'amour et de sens.
Comment pourrais-je également ne pas parler de la perfection de la bande-originale qui, dès les premiers morceaux, m'a conquise ? Eurythmics, Otis Redding, The Andrew Sisters.... What else ?
Mais ce film n'est pas qu'une jolie coquille vide, il abrite également une histoire très touchante qui soulève bien des questionnements : quelle vie choisir ? Si nous pouvions revenir en arrière, ferions-nous les mêmes choix ? Quel est le sens de nos allées et venues sur cette Terre ? Jaco Van Dormael interroge la création en elle-même, celle de notre naissance, celle de nos existences que nous façonnons par nos choix, mais aussi celle de l'art en général. Il parvient à vulgariser de façon assez époustouflante des notions de philosophie quantique et d'espace- temps avec un brio et une inventivité proprement dingues.
S'attachant longuement à parler d'adolescence, le réalisateur nous fait entrevoir des vérités qui nous font immanquablement sourire : les confessions d'amour, les promesses qu'on pense pouvoir tenir, les yeux dans les yeux à toi pour toujours.. Cela m'a rappelé la chanson de Barbara, A chaque fois :
Chaque fois qu'on parle d'amour, c'est avec jamais et toujours
Viens, je te ferai le serment qu'avant toi, y'avait pas d'avant
Y'avait pas d'ombre et pas de soleil, le jour la nuit, c'était pareil...
Quelle vie fut celle de Nemo ? A-t-il choisi la blonde Elise et ses désespoirs insoupçonnés ? Retrouvera-t-il Anna, le bel amour de jeunesse qui lui brisa le cœur ? Mais a-t-on une seule vie ou peut-on se réinventer en permanence ? Le cinéma permet, en tous cas, cette multiplicité des possibles.
Pourtant peu fan de science-fiction, j'ai été totalement fascinée par l'univers que déroule sous nos yeux le réalisateur et qui ne peut manquer de nous faire réfléchir sur l'avenir de l'humanité : irons-nous coloniser la planète Mars ? Vivrons-nous entourés de voitures volantes ? De gratte-ciel stratosphériques ?
Une oeuvre d'une très grande ambition, tant sur son contenu que sur son esthétique : un voyage émouvant et un vrai régal sensoriel et philosophique.
Pépite !