The Big Dick : Le VP du siècle

APRÈS SÉANCE


Jamais tenté par ses comédies antérieures comme Very Bab Cops ou Légendes vivantes, Adam McKay semble avoir trouvé le registre dans lequel il excelle avec The Big Short : Le casse du siècle et récemment Vice. Après avoir tant bien que mal réussi à vulgariser la crise des subprimes et la manière dont certains se sont véritablement rincés dessus en anticipant la baisse de ces actifs, Adam McKay s’attaque au vice-président américain à la fois le plus puissant et le plus méconnu.


Dick Cheney a été le vice-président des États-Unis de 2001 à 2009, et a, pendant ce laps de temps, complétement transformé cette fonction. Même si Bill Clinton et son VP Al Gore (1993-2001) avait déjà débuté cette mutation (notamment concernant les affaires étrangères et l’économie), Dick Cheney a complétement pété les codes en revoyant la répartition des pouvoirs et en créant un exécutif à deux têtes (la seconde étant la vide de George W. Bush). Cette manœuvre a donc laissé un énorme boulevard à cet homme méthodique, manipulateur et entretenant un véritable culte du secret.



SUR LE FOND : 8 étoiles



Ce culte du secret est d’ailleurs le sujet du texte introductif du film où Adam McKay nous assure la véracité des faits malgré la grande discrétion/dissimulation du principal intéressé. « Tout est vrai », nous indique-t-il. Et en m’informant un peu sur le bonhomme, le taux de réalisme de Vice semble en effet très très haut. Ce texte s’achève sur un cri du cœur du réalisateur, cherchant un poil de reconnaissance



C’était compliqué. Mais on a bossé putain !



Et bordel, heureusement que c’est réaliste tant le film est un véritable portrait au vitriol de Dick Cheney, un pamphlet contre l’administration Bush et plus généralement contre la bureaucratie américaine usant habilement de l’opacité. Vice ne pouvait se permettre de réécrire l’histoire à l’instar d’un Bohemian Rhapsody tellement le film est complétement à charge, sans aucune nuance. Même les scènes les plus intimes, celles pouvant éventuellement nous rappeler que Dick Cheney est un être humain, sont tournées en dérision ou usent d’une pirouette caustique pour revenir au sujet central : Dick Cheney est le Mal absolu. Christian Bale, qui interprète ladite personne, allant jusqu’à remercier Satan aux Golden Globes pour lui avoir inspiré le rôle.


Il faut dire en effet que Dick Cheney est un personnage politique… mhh… clivant. Favorable à une position agressive face à l’URSS, contre l’avortement, ou qualifiant Nelson Mandela de terroriste, dire que Dick Cheney est néo-conservateur est un pur euphémisme. Le type est quand même un des « responsables » de la guerre en Irak, ayant couté la vie à plus d’un million de personnes de 2003 à 2011. A côté, Frank Underwood de House of Cards, c’est Philippe Poutou ! Manipulateur, opportuniste, Dick Cheney a réussi à tirer profit de la relative jeunesse et l’inexpérience du Président Bush Jr., pour diriger le pays tapit dans l’ombre et offrir l’Irak au passage à la société Halliburton, qu’il a lui-même dirigée.


Bon, le type n’est pas l’Abbé Pierre, c’est clair. Mais ce n’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici, même si personnellement ce genre de film me donne toujours l’envie de me documenter à la sortie de la salle… Qu’en est-il de Christian Bale qui campe ce vil personnage ? Eh bien c’est bluffant ! La prestation est parfaite, l’acteur parvient à interpréter Dick Cheney sur 40 ans, et c’est sans aucune fausse note. Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes le 21 février, c’est-à-dire que les Oscars sont dans trois jours. Si Rami Malek chipe l’Oscar du meilleur acteur à Christian Bale grâce à sa pauvre prothèse de dentition d’écureuil, pour un film se qualifiant de biopic mais qui se torche avec la vérité, et qui au passage fait la promotion d’un réalisateur accusé de pédophilie… Le cinéma est mort. Christian Bale mérite cet Oscar, et ce n’est pas qu’une question de transformation physique. Je m’en fiche un peu de ces trucs, surtout qu’avec Christian Bale, on commence à devenir habitué. Musclé dans American Psycho en 2000, pesant seulement 55 kg quatre ans plus tard pour The Machinist, reprenant 25 kg pour interprété le Batman l’année suivante… Se dire qu’il s’agit du même acteur dans Fighter, American Bluff ou Vice est complétement fou. Mais à mon sens, ce n’est pas forcément gage d’une bonne prestation. Ici, Christian Bale crève l’écran. Il ne s’agit pas que des 20 kg pris pour le rôle, mais tout : la silhouette, la démarche, la posture, le petit rictus, la façon de s’exprimer… Il vit complétement son personnage. A se demander parfois si l’acteur peine vraiment à respirer ou si cela fait partie de son jeu.



However, if we came to a, uh... different... understanding... I can handle the more mundane... jobs. Overseeing bureaucracy... military... energy... and, uh... foreign policy.



That sounds good !



Évidemment, la prestation de Christian Bale est en première ligne, mais globalement, l’ensemble du casting est très très bon. Amy Adams retranscrit bien la grande ambition de Lynne Cheney qu’elle ne peut assouvir seule à cause de sa condition de femme dans les années 60. On n’est pas dans le binôme machiavélique à la Claire et Frank Underwood, mais on sent bien qu’elle est parfois la Palpatine de ce Dark Vador (étant un surnom que Dick Cheney s’attribue lui-même volontiers). Elle a porté cet homme au pouvoir, elle est en quelque sorte la marionnettiste du marionnettiste.


Tous les autres personnages secondaires sont très bien interprétés, et développés juste comme il faut. Steve Carell, habitué maintenant à travailler avec Adam McKay est le parfait salaud qui a conscience d’être un salaud. Sam Rockwell est une fois de plus excellent et interprète ici un George W. Bush plus vrai que nature. Et Jesse Plemons joue Kurt, le narrateur du film au cœur d’une révélation qui m’a frappée comme un camion déboulant plein gaz !


Pendant une grande partie de Vice, on ne saisit d’ailleurs pas ce qui relie d’une part Dick Cheney et son ascension au pouvoir, et d’autre part l’identité du narrateur. Cela fait en effet partie des nombreuses libertés que prend Adam McKay avec le genre du biopic. Il fait ce qu’il veut, et cela fonctionne.



SUR LA FORME : 8,5 étoiles



S’il veut imager les relations proie/prédateur dans les couloirs de la Maison Blanche par une séquence de documentaire animalier, il le fait. S’il veut abuser des plans de transition de Dick à la pêche sans aucune raison apparente, il le fait. Même si au final, on comprend bien la comparaison : le calme, la patience, l’appât, le leurre, la prise, la domination. Adam McKay est vraiment doué pour dénaturer les concepts, les placer dans un environnement étranger pour les vulgariser. Dans The Big Short par exemple, le chef Anthony Bourdain expliquait la titrisation des actifs en utilisant son environnement : la cuisine. Et au final, c’était bien plus compréhensible que ce que j’avais pu avoir sur les bancs de la fac en économie des marchés et des actifs financiers. Dans Vice, Adam Mc Kay remet le couvercle et propose une scène de restaurant jaunement hilarante où l’invasion de l’Irak et la torture des prisonniers sont au menu.



I'm having a heart attack, you idiot.



De la même manière, s’il veut mettre un générique de fin en plein milieu de son film, il le fait. Cette séquence, en plus d’être très drôle (Dick Cheney en éleveur de labradors…), illustre parfaitement ce qu’Adam McKay refait un peu plus tard avec l’empilement des tasses et des soucoupes. Ces séquences montrent à quel point la décision d’un homme du Wyoming peut faire basculer une région du monde dans le chaos ! Bref, la réalisation d’Adam McKay est très originale, très culottée. Michael Moore, avec Fahrenheit 9/11 et 11/9, propose un cinéma politique trash et brut. Ici, le véritable vice du film est de nous bercer dans une sensation de calme, de sérénité jusqu’à ce qu’on se dise : « Eh mais c’est horrible en fait ! ». Vice, en utilisant une voix-off, quelques images d’archives (réelles ou rejouées) nous donnent l’impression de regarder un vrai documentaire. Il y a d’ailleurs un grain particulier sur l’image, notamment lors des scènes faussement historiques. Cela fait sens dès lors que l’action se déroule entre 1963 et 2009, et puis surtout, cela s’accentue grandement l’aspect réaliste, le côté documentaire du film.


Et puis (paf) d’un coup, on se retrouve sans crier gare devant un dialogue shakespearien… C’est cette sensation de flottement, où le spectateur est un peu perdu, qui est super bien maitrisée par Adam McKay. Parfois au-delà du raisonnable lorsqu’on se tape cinq ou six séquences de pêche, ou un dialogue shakespearien (celui-là même) s’étalant sur quasiment cinq minutes. Son intérêt, aucun. Mais Adam McKay a probablement trouvé la scène drôle en l’écrivant, hilarante en la filmant, c’est bien normal qu’il nous en fasse profiter. Bon, ça a quand même tendance à casser un peu le rythme du film. Là où The Big Short proposait un rythme effréné, assénant le spectateur de concepts économiques tellement compliqués que même les banques n’avaient rien compris, Vice prend déjà un peu plus son temps dans la mesure où on suit un homme de l’ombre, devant toujours réfléchir pour garder trois coups d’avance sur les autres.



Instead of global warming, which we all agree sounds very scary, we call it… climate change?



Vice veut montrer des choses en montrant d’autres choses, et use de sa grande palette d’identités pour y arriver. Tantôt un biopic, une fiction, un pamphlet, ou un docu... Le film déstabilise par ses différents tons. Cela est vrai par l’image, mais également par le son lorsque The Irak War Symphony, complétement déconnecté aux images de guerre, accentue le cynisme de la séquence, ou lorsque America de Leonard Bernstein résonne au générique de fin en sorte de pied de nez « Oui, c’est aussi ça l’Amérique ! ».


Avec le Golden Globes de Christian Bale, les cinq nominations aux BAFA, et les huit aux Oscars, il est probable qu’Adam McKay ne s’arrête pas là. Après la crise des subprimes et la guerre en Irak, pourquoi pas un troisième volet sur la présidence Trump ?


Bonus acteur : OUI


Le Bonus acteur a pour effet de rajouter 0,5 sur la note totale du film. Il est attribué à Christian Bale qui signe encore une fois bien plus qu’une « simple » transformation physique.


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 9 étoiles


Spockyface
9
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le 22 févr. 2019

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