Film colossal, par sa durée, et son ampleur en tant que véritable fresque cinématographique, "A Brighter Summer Day", du taïwanais Edward Yang, retrace l'été 1960 de jeunes adolescents de Taipei en pleine dictature, de l'ancien gouvernement chinois retranché sur l'île.
D'une immensité semblable à "Il était une fois en Amérique", le regretté Edward Yang marque notre rétine à chaque cadre qu'il installe.
Abasourdi devant un tel aboutissement formel, frôlant la perfection, le film déploie avec justesse et finesse ses thématiques, importantes à l'histoire de Taiwan et centrales à la vie des personnages, directement ou indirectement.
Il évoque toujours subtilement la Chine continentale maoïste de l'année 1960, à la fois éloignée physiquement des personnages mais aussi très proche dans les consciences.
Cette évocation de la Chine maoïste en toile de fond constitue l'une des pièces principales du puzzle reliant les thématiques du film.
La thématique principale étant la situation, que le réalisateur a lui-même connu, de Taiwan et sa jeunesse qui tente coûte que coûte de vivre, malgré une économie bancale et une autorité dictatoriale; les habitants ayant fui une tyrannie pour finalement se retrouver confrontés à une autre (moins sévère néanmoins).
L'île de Taiwan est marquée par différents vestiges d'un passé, pas si lointain, de l'occupation par le Japon impérialiste; les objets présents dans le récit en sont les témoins, comme le katana de Ma.
La jeunesse taïwanaise doit donc s'affirmer dans cette société fragile.
Dans cette dimension quasi-autobiographique, Yang dépeint les difficultés de cette génération à se développer sainement dans un pays où, notamment, dû à de fréquentes coupures de courants certains, sont, d'une manière, ségrégués et sont dans l'obligation d'aller à l'école la nuit.
Ces jeunes adolescents sont aussi grandement frappés par l'émergence des bandes et de la violence qui en résulte.
Mais dans ce désordre sociétal, où contre-culture américaine devient centrale dans le processus de développement de sa personnalité, de son individualité, le jeune Xiao Si'r va tenter de s'éloigner de ces conflits répétés liés aux bandes.
Celui-ci sera quotidiennement confronté à cette violence et sera pris dans ses rouages contre son gré, avant de finalement l'embrasser.
La mise en scène du cinéaste taïwanais sublime ici pleinement les émotions transmises et ressenties par les personnages et iconise chacun de ses plans.
Dans le registre de la violence, la scène du massacre de la bande des 217 est d'une mise en scène et profondeur impressionnante. Les actions se déroulent dans le noir, avec des éclairs illuminant par moments la scène.
Mais cette esthétique extraordinaire n'en est pas moins gratuite, puisque, comme déjà évoqué, le pays est en proie à de nombreuses coupures de courant pendant la nuit.
Ces jeunes taïwanais, donc, se cherchent, certains restent et s'enfoncent dans la violence et d'autres remontent la pente et font pénitence, même les plus vicieux ou belliqueux comme Sly. Mais, Xiao Si'r, peut-être le plus calme, discret et gentil de cette bande de protagonistes va, sans s'en rendre compte, sombrer dans cette violence qui va l'aspirer sournoisement.
L'une des dernières scènes du film représente l'acmé de cette violence accumulée et subie durant les quatre heure de métrage; Xiao Si'r poignarde et tue Ming, la jeune fille qu'il aimait.
Cet acte laisse peu de chance de rédemption et de salut à un protagoniste (qui achève le film et son histoire par son propre emprisonnement; jugement annoncé comme celui de la peine de mort puis commué en peine de 15 ans), réalisant que trop tard la portée de son acte, mortel donc, mais symbole d'une omniprésence de la violence, ingérée et accumulée par les tous personnages, de manières différentes.
Cet acte, pour celui qui venait de quitter les cours du soir, par exclusion certes, et qui aurait pu entrevoir un avenir plus radieux, scelle son destin et laisse au film une douce amertume, une dernière touche teintée de nihilisme pour cette jeunesse tristement oubliée.