Critique rédigée en décembre 2019
Après un Star Wars VIII un brin oubliable mais honorable, le mal-aimé Rian Johnson met sur les rails en 2018 le projet d'un thriller à énigme, puisant son inspiration entre Ian Fleming, Agatha Christie et la comédie noire. À vue de nez, il semblait vouloir nous servir une production Kenneth Branagh-like proche du Crime de l'Orient Express (2017), avec pour fin de trouver un nouveau rôle à la hauteur pour Chris Evans et Daniel Craig, suite à la fin respective d'Avengers et de James Bond.
Dans ce farfelu huis clos prenant une surprenante tournure dans sa seconde partie, nous suivons une l'enquête menée par Benoît Blanc (Daniel Craig) suite au suicide apparent de l'auteur Harlan Thrombey (Christopher Plummer), survenu le jour de son 85ème anniversaire. Linda (Jamie Lee Curtis), fille du disparu, recrute le détective à enquêter au sein de l'immense manoir familial, suivant la réunion au grand complet de la famille Thrombey pour étudier minutieusement les circonstances du décès. Après nombre d'interrogatoires alternants entre déductions et révélations, Marta (Ana de Armas), infirmière du feu écrivain, devient la principale source de soupçon.
Comment Blanc réussira-t-il à dissocier l'avocat du diable de la clé vers la vérité?
À couteaux tirés (Knives Out dans sa version originale) remet sur pied le genre littéraire de l'enquête à huis clos sur grand écran, enquête remarquablement montée et mise en scène par Rian Jonhson, cinéaste confirmé trouvant enfin un scénario à son aise conséquemment de l'accueil critique mitigé de Looper (2012) et de SW VIII (2017).
Chaque personnage trouve sa place dans le fil de l'intrigue comme pièce dans le puzzle. Johnson n'octroie aucune délicatesse à la peinture du milieu bourgeois américain classique, et chaque comédien trouve son mot à dire dans l'enquête
(à l'exception du personnage de Jamie Lee Curtis, finalement peu exploité jusqu'à son final).
Le spectateur ne sait même plus où donner de la tête face à ce jeu de famille très malin réinvestissant les codes classiques du huis clos pour les additionner à une construction scénaristique astucieuse. Effectivement, il est toujours dans le doute du bon déroulement des choses, les dires d'une séquence étant souvent contredits par celle qui suit par la venue de nouvelles pistes. De fil en aiguille, on finit par découvrir de manière ordonnée le déroulement de la soirée.
Le détective Benoît Blanc, interprété par un Daniel Craig vieillissant mais toujours brillant, est une véritable hybridation entre Hercule Poirot (pour son statut de détective au nom entêtant) et un brin de Bond (rapprochement évidemment avec l'interprétation et le charisme de Craig). Sans surprise, il s'avère le personnage le plus confiant du film, archétype de l'inspecteur bienveillant...
...ne se privant pas d'autre part quelques pitreries impromptues m'ayant fait le plus grand bien.
Le travail ingénieux de Johnson réside aussi dans l'usage de certains éléments de décor et les expressions faciales (souvent par cache), nous faisant rentrer pleinement dans l'enquête au sein d'une vieille bâtisse éloignée des autres locaux, parabole d'une bourgeoisie américaine esseulée et empoisonnée de ses certitudes. Esthétiquement, dès l'affiche, le film soigne chaque plan par des éléments avant / arrière se mariant très bien aux secrets enfouis des protagonistes au point de nous demander ce qu'ils représentent pour la suite, en plus d'une bonne exploitation de la grandeur du manoir.
Hormis Daniel Craig, nous retrouvons pour notre plus grand plaisir les interprètes de premier choix Jamie Lee Curtis, Chris Evans campant un personnage complexe éloigné du Captain America que nous connaissions, Don Johnson, Toni Colette et ses moues fantastiques ainsi que Christopher Plummer dans les flashbacks et la James Bond girl en puissance Ana de Armas, impeccable en jeune infirmière au récit mystérieux.
À couteaux tirés se distingue surtout de ses prédécesseurs en nous dévoilant d'emblée l'intrigue du film...
(la gouvernante d'Harlan Thrombey le découvrant mort dans son grenier en lui apportant le petit déjeuner, une occurrence pour le spectateur de visualiser le cadre spatial de l'histoire)
...ainsi qu'une surprenante tournure du huis clos dans sa seconde moitié: le réalisateur sort sa caméra et déplace ses personnages outre le manoir, décision de script favorable aux scènes plus riches en mouvements.
La sensation de ne jamais tenir la vérité impatiente et captive, on est sur la faim du moindre petit détail permettant de faire avancer l'intrigue qui se clôt par une délicate mise en abîme sur l'art. Tel la mort de l'écrivain attestée au début, le cinéma doit désormais faire table rase des inspirations littéraires du huis clos et sortir de la zone du confort qu'est le séjour du manoir.
En plus, l'histoire se place à l'époque contemporaine, comme en témoigne la mention des réseaux sociaux et de diverses nouvelles technologies.
À couteaux tirés est ainsi une véritable bonne surprise de cette fin d'année (et de décennie), à la tension équilibrée et rudement menée par jeux d'acteur et de cinéma en tout genre. Un polar classique remis au goût du jour aux enjeux bien ficelés démontrant radicalement le talent de Rian Johnson, suscitant une multitude d'interrogations et d'éclats de rire.