Avant d’écrire une critique sur un film, je fais en sorte de ne surtout pas regarder d’autres critiques, analyses ou avis. La raison est simple : ne pas être influencé.
Même si consciemment, je me dis que l’avis des autres ne m’importe peu, inconsciemment, j’y reste très attaché.
Je peux apprécier grandement un film, qui n’est pas apprécié globalement, en reconnaître les défauts tout en mettant en avant ses qualités.
De toute façon, critiquer, c’est voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein. L’analyse objective est aveuglée par l’appréciation subjective d’une œuvre, quoiqu’il arrive. Avant d'écrire cet avis, je l'avoue, j'ai regardé les notes que mes éclaireurs ont attribué à ce film.
Voyant que le film n’était pas apprécié par mes éclaireurs en particulier, et par la communauté Sens Critique en général (5,9/10 !), je me suis demandé deux choses : mes goûts sont-ils si mauvais ? Et pourquoi ce film est-il si peu apprécié par la communauté Sens Critique ? Finalement, je me suis dit que ce film m’avait parlé à moi plus qu’à d’autres et que « l’ennui » que beaucoup avaient ressenti n’était pas (du tout !) l’état qui m’avait animé durant le visionnage.
Ce film n’est pas un essai de psychanalyse (et ne prétend pas en être un) puisque Cronenberg souhaite raconter une histoire (qui suit une structure dramatique bien définie) sur la psychanalyse à travers des personnages existants.
Bref, j’ai apprécié l’œuvre d’un cinéaste qui n’a plus rien à prouver, tant sa carrière n’a d’égale que sa singularité.
David Cronenberg réalise un film d’époque, adapté d’une pièce de théâtre de Christopher Hampton (scénariste du film), elle-même adaptée du roman de John Kerr A Most Dangerous Method.
Pour sa sœur Denise, qui habille ses films depuis La Mouche, A Dangerous Method a sans aucun doute était un véritable challenge. Un challenge certes, mais complètement réussi.
J’ai appris en regardant la très intéressante Masterclass de David Cronenberg à l’American Film Institute en 2011 qu’il avait ce projet en tête depuis plus de 30 ans ! Il évoque d’ailleurs durant son entretien son tout premier court-métrage Transfer qui met en scène un psy et son patient. À travers sa filmographie, on réalise à quel point le réalisateur canadien est fondu de psychanalyse, et qu’un tel film se devait d’être réalisé par sa personne.
Pendant le film, certains dialogues invoquent directement la situation de Cronenberg, et ses états d’âme. Le parallèle entre les difficultés rencontrées par le mouvement de Freud et celles du cinéaste est évident. « Je suis dans l’obscurité » déclare Freud (Viggo Mortensen).
A Dangerous Method n’est pas un film empreint de psychanalyse, il est un film sur la psychanalyse. Il va sans dire que Sigmund Freud est le père de la psychanalyse, que son obsession est la sexualité (« L’obsession de Freud pour le sexe vient du fait qu’il ne baise pas ») en s’entêtant à interpréter tout symptôme en termes sexuels. Par extension, tout est érotique. Toute chose a un côté sexuel.
Le film ne montre pas uniquement une histoire de psychanalystes révolutionnaires, il étudie également les différents rapports de force entre la blouse blanche et les patients mais surtout entre les blouses blanches, elles-mêmes. Typiquement, Freud refuse de révéler son rêve à Jung pour ne pas compromettre son autorité. Il ne faut pas perdre de vue que Jung perçoit le psychanalyste autrichien comme un père spirituel.
Dans ce film, l’ego (le moi freudien) est au centre. Ils partagent tous la même pensée - dans les grandes lignes du moins - mais finissent toujours par se compromettre à cause de l’ego.
Freud et Jung sont considérés comme des penseurs du XXè siècle extrêmement influents, et par définition un penseur doit décloisonner sa pensée, et pourtant ce n’est pas du tout ce qu’ils font. On se rend compte que leur environnement les empêche d’avoir une pensée décloisonnée et libre, même si l’essence de la psychanalyse, c’est de libérer les patients. En parlant de « patients », évoquons le personnage clé du film : Sabina Spielrein, interprété tout en justesse par la beauté incarnée - mais désincarnée dans le film - Keira Knightley.
Envoyée dans l’hôpital de C.G. Jung en Suisse car elle souffre d’hystérie, Sabina (juive ET russe) va se livrer au psy dominant, puis devenir progressivement une maîtresse dominée.
Avec cette patiente, le passé est déterminant. Battue par son père dès ses 4 ans, elle avoue être excitée à l’idée d’être humiliée. En d’autres termes, son passé d’enfant battu a des répercussions sur le présent. Encore une fois, nous sommes au cœur des thèses freudiennes.
Le travail de Jung va porter ses fruits puisque Sabina se remettra de sa souffrance et finira même par être psychiatre.
Jung, qui était un adepte de la morale, finit par se soumettre à ses pulsions sexuelles, et commet donc l’adultère, avec sa patiente Sabina.
Sa femme représente la douceur rationnelle et s’oppose à la fougue passionnelle de Sabina.
Cet amour passionnel liant Sabina et Carl donne lieu à des scènes très représentatives de la condition humaine. Pour rappel, l’humiliation excite Sabina. Alors, quand le docteur dominant fouette la patiente/maîtresse dominée devant un miroir, elle prend du plaisir.
À travers ce miroir, elle voit le reflet de son propre moi, et renforce le voyeurisme qui l’habite et l’excite tant. C’est comme si le miroir était le reflet de ses pensées et de ses souvenirs intériorisés pendant si longtemps, c'est comme si le miroir était le reflet de son passé.
Enfin, Sabina Spielrein synthétise à travers l’une de ses idées un principe récurrent dans la filmographie de l’ogre canadien : le lien intime que le sexe et la mort entretiennent, profondément étudié dans Crash.
Jung demande à la psychiatre russe :
Expliquez votre analogie entre pulsion sexuelle et pulsion de mort.
A Dangerous Method n’est pas un film ennuyeux, loin de là.
A Dangerous Method n’est pas un film mineur dans l’immense carrière du cinéaste canadien.
A Dangerous Method est une illustration de ce qu’est une good chemistry entre les acteurs.
A Dangerous Method rime avec les aspirations de Cronenberg, frissonne mon conscient et tourmente mon inconscient.