A travers la psychanalyse, c'est le questionnement que tout scientifique, tout artiste, et en définitive tout être humain, est amené à se poser au cours de son existence que Cronenberg embrasse ici. Jung (Fassbender) a suivi les préceptes de Freud (Mortensen), mais il voudrait "tuer le père", aller au-delà la psychanalyse telle que Freud l'a conçue. Mais jusqu'où un simple mortel peut-il aller dans la science sans verser dans la superstition, et sans se perdre lui-même ? Question épistémologique qu'on peut lier à une question esthétique (classicisme ou modernité ?) ; question autour de laquelle tournait Le Mépris de Godard : Paul voudrait aller au-delà du classicisme de Fritz Lang, mais il va finalement tout perdre, et tel Icare, se brûler les ailes. Paul Javal, c'est Godard, cinéaste moderne, iconoclaste mais grand admirateur de ses aînés, qui se demande si le cinéma n'est pas déjà mort en même temps qu'Hollywood brillait de ses derniers feux. Dans les faits, le cinéma n'a jamais plus depuis les années 60 retrouvé un niveau équivalent à celui de la grande époque classique ; et la chute fut encore plus violente dans les autres arts (la musique, la littérature et les arts plastiques sont aujourd'hui sinistrés). La modernité, si elle a été un moment de grâce où la liberté de création nouvellement acquise a permis la naissance d'oeuvres inouïes, a aussi été un vent de destruction sans précédent. La question synthétique des deux précédentes est finalement existentielle (pour ça que le film est bouleversant) : jusqu’où la liberté doit-elle s’étendre ?
Si A Dangerous Method est passé à tort pour un film mineur, c'est que sa forme est d'un parfait classicisme - on a aussi pu dire que Le Mépris était le film le plus classique de Godard ; mais alors il faut parvenir à voir toute la finesse, l'efficacité et l'élégance de la mise en scène de Cronenberg. Après les élans expressionnistes de l'avant eXistenZ, le style du Canadien est devenu plus "rentré", plus suggestif ; comme exemple je me rappelle ce moment où, pour signifier la lubricité d'un personnage (celui de Vincent Cassel), on nous le montre dressant son échelle vers le pré de sa dernière conquête. Comme si la censure du surmoi/les contraintes esthétiques/la rigueur scientifique étaient des garde-fous nécessaires à la création, à la réflexion, à l'existence.
Depuis une dizaine d'années, voir un film de Cronenberg, c'est approcher l'art d'un cinéaste parvenu à la pleine maîtrise de ses moyens, et qui sait en faire le moins pour en exprimer le plus. Il n'y a pas plus profond qu'A Dangerous Method, il n'y a pas film qui embrasse la nature humaine avec autant de justesse, autant de grâce - et autant d’humilité ; et finalement il n’y a pas plus moderne, car je crois que la solution pour ressusciter l’art se trouve là.