Avec L'Enfance nue, son premier long-métrage, Maurice Pialat traitait de l'enfance, de la difficulté de trouver sa place en l'absence de repères familiaux. Il le montrait avec froideur, mais d'une froideur brute qui faisait naître l'émotion. A nos amours est une sorte de prolongement de cette réflexion. Il y présente Suzanne, 15 ans (comme le nombre d'années qui séparent les deux films), qui semble être incapable d'aimer, enchaînant les relations sans lendemains et ne s'attachant à personne.
On retrouve cette thématique de la jeunesse n'arrivant pas à trouver sa place, à se constituer en tant que personne, dans un contexte familial désastreux et anxiogène, entre une mère folle, un frère toxique et un père qui a quitté le navire. Ce père, qui paraît être la seule personne pour qui Suzanne développe un semblant d'affection.
Assez tôt dans le film, nous assistons à une magnifique scène de complicité entre Suzanne et son père, avant que ce dernier ne quitte le foyer. Ce qui est dingue, c'est que le père disparaît du récit à ce moment-là, mais il reste présent dans l'esprit du film, il prend énormément de place sans être à l'image, tel un fantôme.
Dans ce contexte, c'est dans sa sexualité que Suzanne va se construire, fuyant la foyer et voyant ses relations avec sa famille se détériorer pour se réfugier dans nombre de lits d'hommes. Pialat livre avec ce film un splendide portrait de femme, qui grandit sur des bases fragiles qui laisseront à jamais des cicatrices dans son cœur et son âme.
Toute la force d'A nos amours est dans la position que prend Pialat avec sa caméra : jamais dans le jugement, toujours dans une démarche émotionnelle, montrant à quel point Suzanne peut être détestable sans oublier de montrer ses souffrances et son mal-être. Un moment de cinéma absolument divin, sans concession, profondément humain et d'une puissance émotionnelle folle.