La grande proximité entre ce qu'on propose à l'écran et hors de la salle peut avoir un effet rédhibitoire. Qui a envie de payer non pour s'évader dans la salle mais pour rester connecté à ce qui se joue en dehors ? C'est compréhensible, ce qui pose un vrai défi : trouver le juste milieu, en zigzagant entre le réquisitoire barbant et la traversée inoffensive. Un problème de mise en scène que Éric Gravel résout avec flagrance. Le premier gros avantage d'À plein temps, c'est sa durée. 1h25, oui c'est court. Cependant, un montage aussi court tient de l'évidence. Une semaine sur le fil dans la vie d'une femme qui cherche à s'en sortir entre les responsabilités de mère divorcée, la recherche d'un emploi rêvé et le contexte éruptif (grèves, manifestations,...). Le meilleur moyen d'aborder de front un tel programme, c'est d'y aller à fond.
De fait, la course démarre pied au plancher, laissant juste assez de temps à son spectateur pour suivre Julie et glaner assez d'informations pour se faire une idée de la personne et de sa situation. C'est là qu'une interprète du calibre de Laure Calamy fait la différence. De chaque plan, bravant les galères avec la même énergie et spontanéité, l'actrice est le carburant inépuisable permettant au film de s'élancer jusqu'à la toute dernière image. On rentre en empathie directement malgré la course haletante (incarnée jusque dans son excellente bande originale signée Irène Drésel). Si l'arrivée n'a pas grand intérêt en soi, la traversée elle une décharge émotionnelle continue. À travers le personnage principal, chacun pourra projeter des expériences personnelles ou le visage de proches (famille ou amies). On admirera sa force, ses zones de fragilités. On comprendra ses motivations autant que ses décisions (bonnes ou mauvaises).
Intelligemment, Éric Gravel ne néglige pas sa toile de fond puisque le cheminement de son héroïne en zone d'implosion rend compte d'un train de vie que Julie subit au quotidien pour s'en sortir alors que d'autres ont choisi de s'en révolter. Il y a t-il une réponse là-dedans ? Le virage décisif qui s'opère dans la dernière ligne droite semble tout dire en creux. Après l'explosion, le silence. Un calme qui impose la réalité au visage de Julie. Devant le miroir, au bord d'un quai, dans un jardin d'enfants. Après tant de ferveur, voir soudain tout cette folle ingénierie réglée à la minute s'arrêter est une vraie bouffée d'émotions. Comme Julie, on finit épuisés, émus et pas mal revigorés.