Récemment restauré, A Touch of Zen sortit en salles pour le plus grand plaisir des amateurs et passionnés des films de sabre chinois, le wu xia pian. Durant trois heures, les différents rythmes, scènes de combats et récits s'enchevêtrent dans tous les sens tout en gardant une trame cohérente, à la manière des multi-facettes d'un diamant poli à la perfection. Parler de "film de sabre chinois" peut tromper le spectateur, dans la mesure où il ne faut pas s'attendre à voir un seul combat apparaître sous nous yeux avant la première heure passée, heure pendant laquelle King Hu prend le temps qu'il faut pour planter son décor et les protagonistes de l'histoire. L'ouverture du film s'effectue ainsi par des plans insistants sur ce qui deviendra au cours des évènements les lieux des séquences de combat principales.
Nous voici donc en présence d'un artiste talentueux, évoluant dans un village baigné de brume où il ne se passe a priori pas grand chose d'intéressant : Ku Sheng-chai. Son temps se passe à faire des dessins, à tenter de les vendre au grand damn de sa pauvre mère qui n'attend qu'une chose, de voir son fils rentrer dans la fonction publique du pays pour pouvoir enfin se dégoter un bel avenir, ce dont Sheng-chai n'a cure. Jeune homme empoté, sa présence ne sera utile au déroulement des choses que grâce à sa ruse qui le révèlera aux yeux des autres comme un fin stratège, capable de parvenir à ses fins sans avoir recours une seule fois à la force physique.
Tenter d'explorer toutes les thématiques présentes dans A Touch of Zen est une tâche compliqué, tant les trois heures sont denses et les instants contemplatifs finalement minimes. Il est à noter que pour son époque, King Hu a fait preuve d'une incroyable modernité en créant le personnage de Yang Hui-chen, jeune femme au coeur de l'intrigue, dont le père a été assassinée, et qui n'a non seulement besoin de personne pour pouvoir se défendre seule, mais n'hésite pas non plus à abandonner un bébé à elle aux soins d'un autre pour pouvoir se consacrer entièrement à sa nouvelle vie monastique, faisant fi d'un hypothétique instinct maternel. Je crois pouvoir dire sans me tromper que peu de productions européennes auraient mis en scène une femme aussi indépendante.
Le mysticisme religieux est présent tout au long du film, que l'on peut découper en trois séquences : l'introduction, présentant les lieux, les combats qui ravivent le rythme fictionnel et la révélation finale, à la fois incandescente et immanente. Latent jusqu'à un certain seuil, il finit par s'imposer sans ambages, à un point tel que le spectateur pourrait être dérouté devant un tel message. Pour autant, la philosophie de A Touch of Zen possède une prégnance sans pareille, tant les puissants ne sauraient vaincre, ni par leur influence, leurs réseaux, ni par leurs aptitudes aux combats physiques, et encore moins par leurs ruses, ou leur perfidie. Plus le combattant est capable de se réconcilier avec lui-même, d'agir pour le bien, plus sa capacité de méditation est forte, plus ses facultés seront décuplées et sa force sans commune mesure, contrebalancée par un calme olympien accompagné d'une modestie bienvenue.
Pour toutes ces raisons, son éviction de la surenchère, ses combats chorégraphiés défiant l'apesanteur dans une harmonie éblouissante, A Touch of Zen est probablement un des plus beaux films de wu xia pian qui puisse exister.