Abattoir 5
6.7
Abattoir 5

Film de George Roy Hill (1972)

Abattoir 5 est un film de dégoût – fidèle en cela à son titre – et son horizon, à la fois circulaire et point de retour perpétuel, plus que véritable ligne, en figure l'horreur, comme un bégayement de la chronologie dont la seule issue est l'échappement vers l'ailleurs. Blocage dans la linéarité d'un récit dont l'origine se trouve dans le traumatisme de la Seconde guerre mondiale, le film actualise le non-lieu d'une vie dont la continuité s'avère impossible à mener.
Survivant de l'horreur, Bill Pilgrim (pèlerin en anglais) est plongé dans un monde où au rêve d'Oz s'est substitué le mensonge d'un consumérisme délétère et mortifère que figure tant la profanation du cimetière par le fils de Pilgrim que la mort de sa femme au volant de sa Cadillac à laquelle menait le ruban jaune, dérision ozienne façon années 1950. Ainsi ce mensonge qui se traduit par l'occultation de la tragédie historique dans le mirage de la société de consommation et se commue en une fable que débite, fière pour lui et à son propos la femme de Bill, trouve-t-elle ses conséquences dans le destin de leurs propres enfants qui sont condamné au devenir de leurs parents – le fils devenant militaire, la fille la copie de sa mère. L'oubli engendre la répétition et Abattoir 5, en même temps qu'il traite d'une mémoire bloquée, ne cesse de parler de l'oubli qu'a constitué l'Après-guerre d'Eisenhower et que rappelle la phrase « Il faut dans la vie se souvenir des bonnes choses et oublier les autres » à propos de laquelle B. Benoliel et J.-B. Thoret écrivent dans Road Movie, USA « cette maxime, aux accents oziens et prononcée deux fois dans le film, décrit moins la morale naïve d'une fable consensuelle que le pacte implicite ayant permis, à cette époque, l'émergence de l'idéal petit-bourgeois et consumériste : une maison aux couleurs chatoyantes, des fêtes de famille insipides, en bref, une Cité d'Emeraude grandeur nature mais dont George Roy Hill ne désigne que le versant obscène. »
Et la perte de repères qu'engendre cette obscénité n'a de cesse de se manifester : d'abord dans le cynisme du fils adolescent ; puis, dans la réaction burlesque de sa mère à la suite de l'accident de son père, perdant tout référant spatial, sa voiture devient un bolide incontrôlable, allant et venant en une trajectoire incohérente et désordonnée, la menant à sa perte ; et, enfin, dans la conduite du récit lui-même, conduite d'essence temporelle, où la chronologie ne cesse de s'emballer, en allers-retours continuels, à l'image de la voiture elle-même.
Le blocage du temps, que l'image de Pilgrim coincé sous l'Horloge à Dresden figure, implique alors la répétition et contraint l'Histoire à se reproduire mécaniquement dont la seule issue est l'évasion, à l'image de la planète Tralfamadore où Pilgrim revient systématiquement achever sa vie entre deux sauts dans son histoire, en compagnie d'une playmate, dont il avait pu apprécier la plastique dans un magazine confisqué à son fils.
Ainsi, envers du Magicien d'Oz, le retour à la maison dans Abattoir 5 n'a rien d'idyllique et impose la nécessité de la fuite vers Tralfamadore dont la lueur qui emmène Pilgrim est un avatar miraculeux de la tornade qui emporte Dorothy. Tralfamadore, évocation délirante du « home » perdu, lieu clôt et sécurisé, fermant l'espace pour mieux libérer le voyage temporel, représente le mirage d'une Amérique n'ayant pour alternative que la revisite de son histoire à travers l'imaginaire d'un cinéma dont la vocation se résume à l'édification d'un mythe auquel personne ne croit plus.

Malgré la contribution de tout un dispositif de mise à distance et le recours à des procédés tour à tour ironiques, humoristiques ou comiques, point, à travers l'artifice d'une légèreté de surface, la mélancolie d'un homme étranger au monde et dont l'errance, signalée dès le générique dans la blancheur enneigée et abstraite d'un plan flou, lisse et sans repère, est l'objet de tout le film – la définition de se « I » sur lequel s'arrête Pilgrim dans une lettre à son éditeur. Quel est le territoire, la spatiotemporalité de cet homme-là, son devenir ?
La réponse de George Roy Hill est sans appel, il n'en a plus.
reno
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le 16 mars 2012

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reno

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