"C'était moi, mais ce n'était pas moi"

Ce n'est pas tout à fait le film attendu, avec l'escroc qui s'immisce dans le quotidien d'une personne affaiblie pour la plumer et repartir riche. Et tant mieux !

Maud, réalisatrice, devient hémiplégique suite à une hémorragie cérébrale. Après une phase de rééducation , elle se remet vaille que vaille au travail , avec un projet de film dans lequel elle verrait bien Vilko (escroc notoire, fraichement sorti de prison) dans le premier rôle. Après lui avoir présenté le rôle, il accepte et s'impose avec douceur mais fermeté dans sa vie, dans une relation d'amitié ambiguë. En utilisant des prétextes de plus en plus rocambolesques, Vilko obtient chèque sur chèque de la part de Maud (pour un montant de plus de 800000 euros) , et repoussant sans cesse le remboursement.

Il y a d'abord un sacré travail sur le corps dans Abus de Faiblesse. On n'est pas non plus chez Croneneberg (même si on y pense rapidement quand Maud faire réaliser ses bottes orthopédiques SM-cuir ^^) , mais Catherine Breillat filme cliniquement et avec minutie le corps sec de Maud pendant son accident, ses crises d'épilepsie, mais aussi au quotidien (un lever, un déplacement, l'ouverture d'un paquet de jambon deviennent des séquences fortes et filmée dans la longueur) . On observe un corps qui dysfonctionne, qui vous lâche et sur lequel on perd une partie du contrôle. Le bras gauche de Maud, qui est contracté, crispé à l'extrême et semble parfois avoir une vie propre est filmé presque comme un personnage à part entière. Le plan d'ouverture ou Maud se réveille et découvre la moitié de son corps quasi-mort est vraiment marquant. En face de Maud, le corps massif, musclé et tatoué de Vilko, filmé comme un fauve ou un grand singe est d'autant plus flagrant.

Ensuite, la relation entre Maud et Vilko n'est pas une bête relation d'emprise d'un escroc sur une personne faible. Déjà parce que la faiblesse de Maud n'est pas non plus une totale évidence. Il est évident qu'elle est fragile physiquement, et dépendante pour beaucoup de choses du quotidien. Mais elle est une personne dotée d'un caractère extrêmement fort, même sur son lit d'hôpital elle reste parfois même dure, et tyrannise son entourage et ses collaborateurs. Vilko semble quand à lui aussi dépendant à Maud. Il n'y cherche pas l'amour, ou le sexe (il a une femme qu'il semble aimer) Une fois l'argent récupéré, il revient perpétuellement vers elle, et semble bien souvent sincère dans ses marques d'affection. Maud l'apprécie mais n'oublie pas de lui rappeler ses limites . Et surtout, fait surprenant, Maud semble parfaitement consciente de la valeur des chèques qu'elle fait à Vilko. On se demande en tout cas ce qui relie ces deux personnages, en l'absence de désir, et d'intérêt. Mais il est clair qu'ils trouvent chacun quelque chose d'impalpable à cette relation.

Etrangement, le projet de film semble disparaitre assez vite du récit. Les péripéties du quotidien semblent s'effacer, au profit d'autre chose : au bout d'un moment, on opère un virage assez subtil vers un huis-clos presque fantastique. La maison en chantier où déménage Maud semble n'être qu'un paysage mental, ou Vilko et elle évoluent. leur relation s'y délite complètement, et ce n'est que quand les huissiers viennent réclamer les sommes prêtées que le cercle vicieux se brise. Maud doit alors tout avouer à sa famille et ses proches, et Vilko amble disparaitre complètement du film. Maud termine le film sur une confession déchirante, qui nous rappelle que finalement il n'y avait pas de leçon à retirer de cette histoire, et que toute tentative d'explication est superflue. "C'était moi, mais ce n'était pas moi". Rien de plus.

Huppert est à son plus haut niveau de jeu depuis longtemps. Elle est drôle, incisive, bouleversante. Et elle gère un rôle physique avec brio, sans tomber dans les travers du rôle à handicap physique. On retrouve presque aussi de la gestuelle de Breillat . Et le tout sans avoir l'impression de voir une performance. Incroyable. Kool Shen comme son petit camarade Joey Starr est très bon, et parvient à allier le charme félin et la menace.
Benjicoq
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le 14 févr. 2014

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