Voici l'un des 3 plus beaux films français du début de la Nouvelle Vague et celui qui pourrait justifier presque à lui seul tous les efforts pour imposer les nouvelles méthodes de tournage, de jeu et l'approche du cinéma qui y était défendue.
Mais cette nouveauté n'est pas sans parenté. Bien au contraire. Vigo, Renoir, pour ne rester qu'en France. Et comme chez ce dernier et la Partie de Campagne par ex. - est-ce qu' "Adieu Philippine" n'est pas un dimanche ensoleillé étiré sur quelques semaines? - tout ce bonheur de vivre, ces sourires, ces fous rires, ces caprices de starlettes, ces émotions sensuelles, ces peurs jalouses, ces aventures de rien du tout s'articulent autour d'un point noir presque caché mais constamment présent en fond, se jouent d'une ombre terrible: La guerre d'Algérie ici et une mort possible pour Michel, le mariage et une vie infernale jusqu'à la mort pour Henriette (Sylvia Bataille).
La délicatesse de Rozier est telle que nous pouvons voir le film comme une romance, comme le récit d'amourettes de vacances, deux starlettes entichées d'un mythomane et "Adieu Philippine", c'est aussi bien sûr cela. Mais le cinéma, le grand cinéma, c'est aussi de nous rappeler qu'il y a peu de choses plus vertigineuses que les douleurs d'amour de starlettes - quelques pas de danses sont là pour nous le rappeler - et que tout mythomane qu'il est, Michel ne reviendra peut-être jamais mais que les moments qu'il vit avant de partir sont en train de le rendre à lui-même, à sa plénitude. En cela, Adieu Philippine est aussi ce film dans le film (mais qui ne le dit pas) d'un homme qui se permet de vivre ce qui lui reste à vivre (et à filmer) dans l'éblouissement total, dans le soleil méditerranéen, de faire de tout ce qui lui arrive, de presque rien, des moments d'une présence terriblement émouvante et vivante, de transformer cette gravité intérieure en légèreté lumineuse, d'accepter de dépenser ces derniers moments en éclats de lumière, en fous rires de jeunes filles. L'art de Rozier est de trouver une dynamique plus forte qu'un récit ordinaire avec des sentiments sensés être moins puissants. Un caprice a plus de charme pour lui et plus de mouvement qu'une décision mûrement réfléchie et la tension qui va avec. Une rivalité de midinette à peine sérieuse plus de vivacité qu'un conflit avéré et de plusieurs années. Adieu Philippine nous ramène à une qualité de perception du monde, où chaque relation entre deux êtres est un feu possible, chaque mot, chaque grimace ou regard le signe d'une richesse sans fin, chaque inconnu qui vient une aventure désirée et acceptée. Il y a dans l'improvisation chez Rozier comme ce sens de l'hospitalité pour l'étranger, ce porteur du message divin. Ceux qui vont mourir ont cette acuité là - celle de Michel - et le film en a le style et la poignante beauté - celui de Jacques Rozier.