Quand le rêve européen vire au cauchemar

Ce film est directement tiré du livre éponyme de Yanis Varoufakis, qui fut un éphémère ministre des finances de la Grèce au cours du premier semestre 2015. Je serais tenté de dire, d'ailleurs, qu'il en constitue simplement la mise en images, tant il prend des allures - par moments - de reportage, puisque tous ses acteurs ont une ressemblance physique, plus ou moins prononcée, avec le personnage qu'ils incarnent à l'écran. Du coup, le film est évidemment très centré sur le personnage de Varoufakis, et il en relaie, pour l'essentiel, le point de vue.


Mais que raconte donc "Adults in the room" ? Eh bien, les tentatives de la Grèce pour sortir de du plan d'austérité qui fut imposé par l'Union Européenne, la FMI et la BCE, trio formant ce que l'on appelle la troïka. Au début de l'année 1995, le parti SYRIZA, souvent présenté par les médias comme de gauche radicale, remporta les élections législatives et obtint donc une majorité au parlement. Or, le gouvernement précédent, d'obédience néo-libérale, avait signé un accord d'austérité avec la troïka, désigné dans le poétique langage technocratique de l'Union Européenne sous l'appellation de Memoradum of Understanding (MoU pour les intimes). Varoufakis, devenu ministre des finances, reçut donc comme mandat d'aller renégocier ce MoU à Bruxelles.


Il a réussi à tenir six mois, ce qui est plutôt méritoire. Et ce sont ces six mois que le film nous montre. A travers une plongée glaçante dans les arcanes des institutions européennes. Car l'intérêt du film est me semble-t-il avant tout pédagogique : ce n'est pas nécessairement du grand cinéma. Mais on y trouvera, exposé de façon limpide et plausible, quantité d'informations et de situations plutôt éclairantes. A commencer par le fonctionnement de l'Eurogroupe, instance informelle (c'est à dire sans le moindre statut ni institutionnel, ni constitutionnel), qui réunit les ministres des finances de la zone euro et qui prend à peu près toutes les décisions, avec l'appui de la BCE et du FMI, qui s'imposeront par la suite aux pays membres. Eurogroupe, qui au moment des faits, est totalement dominé par le ministre des finances allemand, ce dernier disposant du soutien d'un nombre important de pays satellites - d'Europe centrale et du nord - de l'Allemagne.


Le spectateur pourra ainsi déguster, au gré des tentatives de Varoufakis, quelques scènes assez réussies. Par exemple quand ce dernier croise dans les couloirs de Bercy un jeune freluquet qui répond au prénom d'Emmanuel. Que Costa Gavras n'a pas loupé, d'ailleurs, l'acteur choisi pour l'incarner ayant vraiment une tronche de cake. Au point de déclencher l'hilarité générale de la salle, remplie pour la circonstance par la promotion entière d'un DUT de gestion. Il n'a pas loupé non plus notre PS national, d'ailleurs, dont les représentants, s'ils ont une attitude bienveillante envers la Grèce, s'avèreront totalement inconsistants et sans le moindre poids politique. Complétement soumis à l'Allemagne, dans les faits. Et, s'agissant de cette dernière, la scène la plus réussie est sans doute celle où un poids lourd (au propre comme au figuré) du gouvernement Merkel déboule à l'improviste à Athènes au plus fort de la crise, dîne chez les Varoufakis en présence du gouvernement grec et s'empiffre de tzatziki et de côtelettes d'agneau en écoutant poliment ses hôtes qui essaient de le convaincre d'accepter de renégocier le MoU.


Tout le monde sait comme ça s'est terminé. L'Eurogroupe est resté inflexible, refusant même de signer un communiqué s'il portait mention de "la crise humanitaire" grecque. SYRIZA a organisé un référendum, les grecs se sont prononcés à 61% contre le MoU. Mais SYRIZA a du céder, parce que sinon la BCE aurait fermé le robinet des liquidités aux banques grecques. Ils n'ont pas osé sortir de l'euro et dénoncer la dette, donc, ce qui leur aurait sans aucun doute valu une situation plus difficile encore sur le très court terme, mais aussi peut-être beaucoup plus soutenable sur le moyen et le long terme. La conséquence en est que SYRIZA a perdu récemment sa majorité et que les néo-libéraux sont revenus au pouvoir, pour contribuer à brader ce qui reste du patrimoine national grec, la plupart du temps d'ailleurs à des entreprises allemandes.


Costa Gavras est un réalisateur engagé, aujourd'hui très âgé (86 ans). Il a connu son heure de gloire notamment dans les années 70, avec des films dénonçant les tyrannies et dictatures de tous bords. Il est bien sur grec, et il ne pouvait pas ne pas faire ce film, qui sera peut-être son testament cinématographique. Film qui est un réquisitoire tout aussi implacable, que le furent en leur temps "Missing", "Z" ou "Etat d'urgence", contre la machine à broyer les peuples qui sévit actuellement en Europe, et dont, comme le montre l'exemple anglais, il est très très difficile de se dépêtrer.

Marcus31
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le 23 nov. 2019

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