/!\ Critique à spoilers /!\
Agora est un film passionnant, dans lequel un formalisme certain ne doit pas occulter la part laissée à l'humain.
En effet, derrière la fresque historique très intéressante, même si son degré de réalisme est variable d'après des observateurs mieux informés que moi -c'est pas difficile-, vient aussi mais surtout se nicher l'histoire centrale d'Hypatia, femme libérée bien au-delà de ce que Cookie Dingler aurait pu imaginer.
Dans un monde d'hommes, même si il convient de souligner qu'on n'a sans doute rien à leur envier à ce sujet, elle affirme son indépendance, son intérêt pour les sciences et la philosophie plutôt que le mariage et les langes.
En toile de fond, les troubles agitant Alexandrie autour de la montée en puissance d'une petite religion mal-aimée : le christianisme.
Haaaaa quel pain béni pour l'athée anticlérical que je suis.
Sociologiquement c'est fascinant. Cette manie de transporter des pierres à longueur de journée doit ceci dit être très mauvais pour le dos, en plus de déformer poches et sacs. Mais c'est tellement pratique pour une lapidation-surprise.
Et puis, point d'orgue du film pour moi, même s'il survient tôt, la mise à sac de la Grande Bibliothèque d'Alexandrie, crime contre l'humanité s'il en est, heureusement seulement un détail dans la longue liste de conneries commises au nom du christianisme, et plus largement de la religion.
En périphérie de cela, pourrait-on presque dire, un triangle amoureux somme toute classique, à l'intérêt d'autant plus discutable que son objet est cette digne descendante d'Emmanuel Chain, dont les sourcils ne cesseront jamais de me fasciner, à défaut de me séduire (je parle bien de Rachel Weisz hein).
Je reste ceci dit un tout petit peu déçu par le traitement superficiel du personnage de Davus, sorte de girouette qui compense son absence d'activité sexuelle par de l'ultra-violence et se tourne évidemment vers ces chrétiens émergents, sans doute séduit par la perspective de l'abstinence forcée (au moins ça lui fera un prétexte).
Le brave garçon, esclave et amoureux éconduit, ne sait pas bien sur quel pied danser, entre le massacre de son ancien maître pour des raisons finalement un peu obscures, l'attirance persistante envers la fille de ce dernier, et sa nouvelle passion pour Jésus et les lapidations (ça ferait trop bien sur un profil Meetic).
En plus, le film ne se contente pas d'être instructif, il fait également plaisir aux yeux avec de très belles lumières et une reconstitution historique que je qualifierais de "propre", à défaut de pouvoir juger son exactitude.
Décors et costumes sont beaux et cohérents, rendant très bien compte de ce décalage entre les reliquats du paganisme et la nouvelle imagerie se mettant en place autour des rites chrétiens.
L'immersion dans ce monde à la dualité marquée se fait sans aucune peine, et cela souligne l'important fossé qui se creuse, finalement rapidement, entre la minorité juive et d'envahissants nouveaux arrivants.
Enfin, l'ensemble est baigné par d'excellentes considérations scientifiques, illustrées par le fil rouge de la mécanique céleste, entre remise en cause de thèses passées bien établies et bases de notre compréhension moderne du système solaire avec l'héliocentrisme.
Bousculer ainsi des dogmes pluri-centenaires pour parvenir à une conclusion qui ne sera concrétisée que 12 siècles plus tard par Kepler force le respect, a fortiori quand la protagoniste en question doit assumer cela en plus de lutter contre la pression sociale de son statut de femme.
Inutile de dire qu'aborder à la fois la religion, le féminisme et la science en un même film est casse-gueule, mais Amenabar s'en sort à merveille et livre une oeuvre forte, cohérente et dynamique malgré son propos très sérieux et parfois scolaire.
Les deux heures passent à toute allure, dans un enchaînement rythmé de scènes tour à tour contemplatives, hyper-actives (les différentes révoltes et massacres) et même politiques.
Un réel bonheur.