Un titre d'une farouche ironie
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Amoureuse de Rachel Weisz depuis The Constant Gardner (2005), admiratrice du cinéma d'Alejandro Amenábar découvert avec son magnifique thriller Les Autres (2001) et fascinée par la compréhension du cosmos, forcément l'affiche du péplum Agora avait de quoi m'enthousiasmer ! Si le récit du conflit entre les Païens et les Chrétiens souffre d'imperfections, la découverte de la philosophe Hypatia (que je ne connaissais pas), elle, m'a passionnée.
Hypatia figure au panthéon de ces femmes exceptionnelles tombées dans l'oubli. Pourtant quelle intelligence, quel courage et quel destin ! A la fin du IVe siècle alors que l'empire romain commence à s'effondrer, Hypatia fait partie des philosophes les plus respectés de son temps, et ce en dépit de son statut de femme. Elle est la fille de Théon, mathématicien grec connu pour son édition des travaux d'Euclide, mais aussi directeur de la grande bibliothèque d'Alexandrie. Hypatia enseigne la philosophie et l'astronomie, à l'époque intimement liées, dans cette même bibliothèque auprès d'une assemblée d'élèves composés de païens, de juifs et de chrétiens.
Les études d'Hypatia se fondent sur l'observation remarquable (surtout à l'époque) du paradoxe suivant : comment se fait-il que les astres dans le ciel (les "Wanderers") semblent avoir une trajectoire circulaire qui les empêchent de tomber, tandis que, sur terre, tout objet lâché "dans le vide" fait une chute verticale ? C'est à la compréhension de ce paradoxe qu'elle dédiera sa vie, résistant toujours aux explications dogmatiques, à la tentation d'une explication divine inaccessible à la raison humaine, gardant pour seuls guides le doute et le questionnement alors que les croyances déchirent ses contemporains. Pour garantir cette indépendance d'esprit et cette si chère liberté, Hypatia se refuse à tout mariage, position ultra courageuse dans une société où l'autonomie d'une femme est impensable. Elle s'interroge en regardant le ciel :
"Who have I ever loved? If I could just unravel this, just a little bit more, just to get a little closer to the answer, then I would go to my grave a happy woman" (1h24).
La grande audace du film est d'avoir résisté à l'histoire d'amour attendue entre Hypatia et un de ses disciples, Orestes. Et franchement, c'est réjouissant ! En dépit de sa grâce et de sa grande beauté, Hypatia choisit de n'appartenir à aucun homme. Ce choix est trop souvent représenté comme un déclassement de la femme que ce soit en littérature ou au cinéma. Dans Agora, au contraire, il ne fait que renforcer l'incroyable force de caractère d'Hypatia et chez nous, spectateurs, notre admiration pour cette femme. Enfin une héroïne dont le destin n'est pas inféodée à sa sexualité et dont le rôle social échappe aux logiques de mariage. Quelle source d'inspiration encore aujourd'hui où la réussite sociale d'une femme, indépendamment de toutes ses autres réalisations, passe par sa capacité à faire un bon mariage !
Hypatia a toujours préféré ses idées au secours d'un homme, même lorsqu'elle était en danger. Elle a choisi d'indexer son bonheur à sa compréhension/conquête du cosmos, et non à la conquête d'un homme. Sans doute, Orestes ne le comprend-il que trop tard, si bien qu'il ne pourra la sauver de son tragique destin : lapidée pour avoir refusé de croire à un autre dieu que celui de la philosophie. On se rappelle alors les mots qu'elle avait prononcés avec courage face à l'assemblée réunie :
"Excuse me honored member, but as far as I am aware your God has not yet proved himself to be more just or more merciful than his predecessors. Is it really just a question of time before I accept your faith? s'interroge-t-elle.
- Why then, should this assembly accept the council of someone who admittedly believes in absolutely nothing? lui demande un Chrétien de l'assemblée.
- I believe in philosophy."
Le film achevé, on reste néanmoins perplexe quant au choix du titre de film "Agora", prononcé une seule fois (sauf erreur de ma part) au cours du long métrage. Sans doute Hypatia eut été un titre moins commercial vu qu'elle est inconnue du grand public, mais il aurait été bien plus cohérent vue l'intrigue. Cela aurait accru l'hommage que le film offre à cette femme pour le moins exceptionnelle.
PS : si vous êtes curieux d'en savoir plus sur la psychologie des personnages (Hypatia et Davus) à travers l'analyse du ciel étoilé et des constellations représentées dans le film, c'est par ICI. Hope you will enjoy!
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Créée
le 14 mars 2022
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