Je n'ai encore jamais osé me confronter au pavé littéraire sulfureux de Bret Easton Ellis, même si j'ai une idée assez précise de son contenu - pour en avoir lu des extraits.
Et j'ai l'impression que c'est la clé pour apprécier ou non le film de Mary Harron.
La plupart des admirateurs du livre méprisent en effet cette adaptation hollywoodienne, jugée trop timide, trop soft, presque dénuée de substance par rapport à son modèle (ce que je suis tout prêt à croire).
En admettant que le long-métrage s'avère une adaptation décevante, toujours est-il qu'"American Psycho" reste une belle réussite en tant que film autonome.
Mêlant satire sociale, thriller sanglant et portrait d'un psychopathe en puissance, la scénariste et réalisatrice Mary Harron propose une plongée terrifiante dans le cerveau malade d'un homme à la dérive.
Le film tourne en dérision le milieu des yuppies de Wall Street dans les années 80, ridiculise la vacuité de ces existences dédiées à l'avidité, au culte du corps et des apparences, et moque l'uniformisation pathétique des goûts et des comportements - tout en espérant se distinguer par des détails matériels (cf la scène hilarante des cartes de visite).
Dans la première partie du film, cette standardisation se traduit visuellement par une esthétique aseptisée (de nombreux décors dépouillés, des murs blancs...), une atmosphère glaciale où les rapports humains apparaissent complètement désincarnés.
Un mélange déstabilisant de froideur et d'humour grinçant, à l'image de ces improbables critiques musicales délivrées par le héros, qui semble prendre très au sérieux les lyrics insipides de chanteurs populaires.
Quand le récit bascule dans la pornographie et l'ultraviolence, Harron peine en revanche à se montrer à la hauteur : forcément contrainte par la bienséance hollywoodienne, la réalisatrice canadienne opte pour la suggestion et le hors-champ, un choix qui limite grandement le malaise suscité par les actes du héros, et atténue l'impact du film sur le spectateur.
Les scènes gore et le sexe cru, omniprésents dans le livre, disparaissent pratiquement du film, laissés à la marge en dépit d'un ou deux passages dérangeants.
A cet égard, la réussite d'"American Psycho" repose en grande partie sur la prestation hallucinée de Christian Bale, qui incarne brillamment les différentes facettes de Patrick Bateman.
La distribution comprend par ailleurs une foule de seconds rôles de prestige, parmi lesquels se distinguent notamment Willem Dafoe en policier débonnaire, Chloë Sevigny en secrétaire enamourée (seul contrepoint d'humanité dans cet univers désincarné), Justin Theroux et Jared Leto en icônes yuppies, et Reese Witherspoon en fiancée superficielle.