Alan Parker livre un thriller mystique et profondément troublant, mêlant les codes du film noir classique à une imagerie horrifique empreinte de vaudou et de mysticisme. Le film, porté par un casting impeccable – Mickey Rourke dans l’un de ses meilleurs rôles, sinon le meilleur, face à un Robert De Niro énigmatique et glaçant – est un tour de force esthétique et narratif. En revisitant les thématiques de l’identité, de la culpabilité et du pacte faustien, Parker inscrit son œuvre dans une tradition cinématographique complexe tout en repoussant ses frontières.


Alan Parker n’est pas étranger à la transformation des genres. Dès Midnight Express (1978), il démontre un sens aigu de la tension psychologique, qu’il pousse ici à son paroxysme. Angel Heart s’ouvre comme un polar des années 1940 : Harry Angel, un détective privé désabusé, est engagé par un mystérieux client, Louis Cyphre, pour retrouver un chanteur disparu. La mise en scène évoque les grandes œuvres du film noir classique, de The Maltese Falcon (1941) à Chinatown (1974), avec ses décors urbains, ses néons, et son antihéros qui semble à la dérive. Cependant, Parker détourne rapidement ces codes en y injectant une atmosphère oppressante et macabre, rappelant les expérimentations de Roman Polanski dans Rosemary’s Baby (1968), où la menace surnaturelle s’insinue insidieusement dans le quotidien.


Ce qui distingue Angel Heart, cependant, c’est la maîtrise visuelle d’Alan Parker, qui confère à chaque plan une intensité presque palpable. Son utilisation des couleurs saturées, des contrastes violents et des éclairages expressionnistes évoque à la fois le style baroque de Dario Argento (Suspiria, 1977) et les jeux de lumière de Gordon Willis dans The Godfather (1972). Chaque détail – des gouttes de sueur sur le visage de Rourke aux cadrages obsessionnels sur des escaliers en spirale – participe à une montée inexorable vers l’horreur. Le film explore la déchéance humaine à travers une esthétique à la fois sensuelle et cauchemardesque, rappelant l’imagerie gothique de Jacob's Ladder (1990) de Adrian Lyne, qui semble presque être un héritier spirituel de Angel Heart.


Parker pousse également ses acteurs dans leurs retranchements. Mickey Rourke, qui incarne Harry Angel, livre une performance viscérale et vulnérable, jouant sur la fragilité de son personnage face à une vérité qu’il ne veut pas affronter. Face à lui, Robert De Niro incarne un Louis Cyphre aussi élégant qu’effrayant, dans une prestation qui n’est pas sans rappeler son travail envoûtant dans The Mission (1986) ou son rôle de Max Cady dans Cape Fear (1991). L’alchimie entre ces deux acteurs est fascinante, et la tension entre eux devient presque insoutenable à mesure que le récit progresse. Lisa Bonet, quant à elle, est inoubliable dans le rôle sensuel et énigmatique d’Epiphany, contribuant à l’érotisme trouble du film, qui n’a pas manqué de choquer les spectateurs à sa sortie.


Angel Heart est une œuvre audacieuse et magnifiquement exécutée, un chef-d’œuvre hybride qui transcende les genres pour offrir une expérience cinématographique unique. Alan Parker, en jouant sur les codes du film noir et de l’horreur, tout en explorant les tréfonds de la psyché humaine, crée un cauchemar hypnotique d’une richesse visuelle et narrative rare. En empruntant au patrimoine cinématographique tout en imprimant sa propre marque, Parker s’impose ici comme un réalisateur visionnaire, dont le film continue de hanter les esprits bien des années après, ce qui est mon cas. Une œuvre essentielle pour les amateurs de cinéma d’auteur et de récits à la lisière du réel et du fantastique.

Carrington
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