Homme de télévision ayant collaboré avec des metteurs en scène renommés comme Robert Enrico ou encore Jean-Louis Roy, le franco-suisse Pierre Koralnik s'attèle à la réalisation d'Anna en 1966, suite à une demande de l'ORTF qui souhaite ouvrir ses programmes à un public plus jeune.
Issu d'un petit groupe d'artistes expérimentateurs où s'expriment également Jacques Rozier et Jean-Christophe Averty (ce dernier étant à l'époque le réalisateur de divers scopitones -ancêtres des vidéoclips- pour les Beatles et France Gall), Koralnik s'adjoint les services de Jean-Loup Dabadie pour composer un scénario à quatre mains qui s'inspire fortement du phénomène Swinging London pour la forme et du sublime Laura d'Otto Preminger pour le fond.
Narrant l'étrange histoire d'un directeur d'agence de publicités tombant follement amoureux d'une jeune femme photographiée à son insu, Anna est avant tout un hymne poétique dédié à la beauté de la comédienne Anna Karina, égérie de la Nouvelle Vague et ex-compagne de Jean-Luc Godard. Magnifiée et littéralement fétichisée par la caméra de Willy Kurant, la comédienne danoise offre naturellement son prénom au projet qui devient le tout premier téléfilm français à être produit en couleur.
Ami de Koralnik, le musicien Serge Gainsbourg propose un ou deux thèmes mélodiques au cinéaste qui, selon lui, s'accorderaient à merveille pour représenter l'image allégorique du personnage principal féminin. "Si tu veux travailler sur Anna, tu écris tout : paroles et musique ! C'est ça ou rien !" lui rétorque alors le réalisateur. Un défi amplement relevé avec une B.O avant-gardiste qui préfigure le talk over et même le rap sur certains aspects (jetez une oreille attentive sur le titre C'est La Cristallisation Comme Dit Stendhal) et qui contraste surtout avec la variété d'alors où des personnalités telles qu'Adamo, Sheila ou encore Alain Barrière trustent habituellement les sommets des hit-parades, ancêtres des charts actuels.
"Anna, c'est un trait d'union musical entre Nouvelle Vague et Pop Art" dit encore Koralnik au sujet de son projet où viennent s'ajouter Jean-Claude Brialy et Marianne Faithfull, deux amis très proches d'Anna Karina, ainsi que le jeune et génial Michel Colombier (qui vient de collaborer avec Pierre Henry pour la non moins géniale Messe Pour Le Temps Présent, ahurissant spectacle avant-gardiste de Maurice Béjart) pour orchestrer les partitions de Gainsbourg. Une équipe imparable qui s'accommode pleinement aux visions expérimentales du réalisateur pour offrir le meilleur d'elle-même au sein d'une production dotée d'une liberté de ton extrêmement rare à la télévision.
Un bonheur absolu à visionner qui révèle également l'incontestable talent d'Anna Karina pour la chanson dont le titre culte Sous Le Soleil Exactement reste toujours et encore une magnifique ode à la liberté et à la sensualité. Une chanson faisant évidemment référence à l'écrivain Henry Miller, poursuivi pour obscénité à la fin des années 1930 après avoir rédigé Tropique Du Cancer et Tropique Du Capricorne qui resteront interdits de parution jusqu'en 1964.
Le TV film Anna se voit quant à lui diffusé le 13 janvier 1967 à la télévision, incompris et immédiatement rejeté par un public peu habitué à autant de créativité et de modernité dans un seul corps artistique. Il ne sortira malheureusement pas au cinéma comme il l'était prévu et restera invisible durant de longues décennies avant d'être enfin restauré à l'occasion d'une diffusion via la chaine Arte puis commercialisé en DVD.