Sean Baker, l’un des grands noms du cinéma indépendant outre-Atlantique, revient sur ses Terres New-Yorkaise qu’il avait délaissé depuis Tangerine (2015) pour continuer son entreprise de destruction du rêve Américain. S’il a fait du prolétariat, et plus particulièrement des travailleurs du sexe, le centre de sa dynamique cinématographique, Baker n’en reste pas moins un artiste complet qui ajoute toujours de la profondeur à ses œuvres pour les rendre uniques : raconter la prostitution et la vie dans un motel du point de vue d’une bande d’enfants dans Florida Project (2017) ou l’histoire grinçante et profondément cynique d’un ancien acteur porno fauché dans Red Rocket (2021). Un style parfois quasi documentaire (non sans mise en scène), qui nous amène à vivre avec les personnages en ne ressentant aucun jugement de la part de la caméra.
Anora (Mickey Madison) est une jeune Strip-teaseuse du Bronx, qui parce qu’elle est Russophone va offrir ses services à Ivan, fils d’un immensément riche oligarque Russe. Le jeune Ivan (Mark Eydelshteyn) va s’offrir la compagnie d’Anora pendant plusieurs jours, l’emmenant partout avec lui dans une parenthèse de débauche loin de toute obligation familiale. Cette compagnie payante deviendra un mariage lors d’un séjour sous substances à Las Vegas. Que fallait il de plus à Anora, qui se voit déjà dans sa nouvelle immense maison pour le restant de ses jours et un avenir radieux grâce aux milliards de sa nouvelle famille. Il n’en sera évidemment rien car si elle prend ce mariage comme la première page de son conte de fée, les parents d’Ivan voit la dernière bêtise de soirée de leur rejeton d’un très mauvais œil et vont tout mettre en œuvre pour faire annuler l'union.
Pour mettre en perspective le discours de Baker avec l’histoire du personnage d’Anora, il faut comprendre ce que représente les travailleurs du sexe dans la société Américaine. Ils sont en même temps l’ultime prolétariat et symbolise la débrouillardise. Le terme « hustle » désigne cette mentalité, être prêt à tout pour s’en sortir, particulièrement financièrement. Un terme quelque peu bling-bling mais extrêmement lourd de sens au pays du « power of the dollars » et du rêve américain. Anora voit donc ce mariage, cet intérêt que lui porte ce jeune fils d’oligarque comme l’achèvement de son travail. Le mariage à Las Vegas comme symbole de son envol vers une vie meilleure, son rêve de partir en lune de miel à Disneyworld, les vêtements de luxe et l’amour d’un homme qui la désir sans la payé, voilà le rêve de la jeune femme. Sauf que voilà le dit rêve sera de très courte durée et il suffit parfois d’en vivre un de rêve pour le transformé en cauchemar.
Néanmoins, Baker ne tombe pas dans le nihilisme dés lors que la situation va tourner en défaveur de la protagonsite. Le film est infusé d’un tempo comique extrêmement efficace, notamment dans une très longue scène de séquestration qui est un moment de cinéma tout à fait jouissif et merveuilleusement maitrisé. Le metteur en scène s’exprimait à ce sujet lors de sa conférence de presse Cannoise en disant que l’humour est dans la vie, et qu’en mettre dans son film permet de le rendre plus réaliste et véritable.
C’est cette recherche de vérité qui me rend « Anora » à ce point sympathique. Le milieu des travailleurs du sexe est fidèlement représenté, le regard est bien veillant sans être puritain et on nous montre les clubs sans les glamouriser mais sans les dénigrer non plus. Baker à conscience que son cinéma a un impact direct sur les communautés qu’il cite de part son aspect proche de l’humain. Il a donc voulu que Mickey Madison travaille un accent New Yorkais pour le rôle d’Ani ou bien il a engagé un consultant Russe sur toutes les scènes tournées dans la communauté d’immigrés Slaves de Coney Island pour s’assurer que son film s’inscrive au sein une réalité et non dans un fantasme occidental.
Cependant, le fantasme et le rêve sont deux choses assez proches, deux choses auxquelles Sean Baker croit modérément. A Cannes, il disait qu’il n’aime pas parler de gagnants et de perdants dans la vie. Ce qui l’intéresse c’est la dichotomie entre les très riches et les très pauvres. Les puissants et les moins puissants. Si Pretty Woman (1990) racontait le monde des ultra-riches gentiment bousculé par l’arrivé d’une jeune prostituée dans leur vie de luxe et de bonne manière, Anora ne parle pas du monde des riches ni de celui des prolétaires, mais de tout ce qui se trouve entre ces deux mondes. Un amour, peut-être factice, naissant pour un jeune homme pourri-gâté et veule qui ne la voyait finalement que comme une distraction interdite, un peu comme la cocaïne qu’il consommait à chacune de ses sorties. Cette distraction interdite d’Ivan devient un problème a évacué pour la mère de ce dernier qui doit veiller à ce que la famille garde une bonne image, et une distraction pour le père, qui voit quelqu’un qui n’a rien se battre pour garder sa dignité, une donnée sans valeur lorsque l’on vole en jet privé, et explose de rire.
Le personnage d’Igor (Youri Boursissov) est le seul personnage de l’histoire qui voit Ani comme son égal. Le rejet qu’elle éprouve pour lui est le symbole d’un espoir qui prendra définitivement fin lors de la dernière scène du film entre les deux personnages. Le désenchantement total acté définitivement dans une voiture sous la neige, lorsqu’Anora se rend définitivement compte que ce qu’elle prenait auparavant pour acquis n’a plus le même sens. Une carapace qui se brise, en même temps que ses rêves s’envolent.
Sean Baker signe ici un film magnifique dans la continuité de son œuvre, ce qui lui permet d’inscrire son nom au côté des metteurs en scènes couronné à Cannes d’une palme d’or, consensuelle selon certain, mais néanmoins tout à fait mérité.