James Gray nous avertira par deux fois à l'intérieur de son film là travers le personnage principal de Paul : il réalise quelque chose de beau mais ne respecte pas la consigne. Il semble ainsi nous dire qu'il traitera une vision du NY de son enfance mais qu'il refuse de se plier aux consignes habituelles de l'autobiographie. Armageddon Time nous plonge dans un New York aux tons descendus et mélancoliques, miroir de l’ambiance morose et violente qui imprègne le foyer de Paul Graff.
Armageddon Time est un film sur la fin de l’enfance, ce moment où le jeune Paul, jusqu’ici protégé, privilégié et franchement insupportable, prend conscience du monde qui l’entoure et de la responsabilité qui l’attend. Il est dans une double posture, refusant d'assumer un rôle pleinement : il est à la fois observateur des désillusions de ses proches et de son temps et pourtant moteur des perturbations qui font avancer le film. Son aspect un peu désincarné volontairement à moitié hors de sa propre vie diminue pour ma part toute empathie pour lui ; gamin rebelle sans raison. Le point d'intérêt se situe davantage dans les personnages qui l'entourent, tiraillés entre un passé écrasant, une forte pression sociale, un racisme inavoué latent et une classique lutte des classes.
Avec une mise en scène sobre et sincère, James Gray relate ces États-Unis du désenchantement et des paradoxes. La famille de Paul est complexe, la violence physique et morale se mélange à une grande vulnérabilité. Sans cesse, elle lui envoie des injonctions contradictoires, entre une volonté de le préparer à un monde libéral et impitoyable et des principes moraux et éthiques battus en brèche.
Malheureusement, le réalisateur tombe parfois dans l’excès, avec ce besoin de souligner grossièrement que la mort c’est triste, le racisme c’est mal, et il est encore temps de fuir une école cynique et conformiste. Si les personnages secondaires sont très réussis, j’ai vraiment eu plus de mal avec Paul, qui en dehors de ses grands yeux de lapin pris dans les phares est plutôt tête-à-claques et peu intéressant.
Un film très beau, à la réalisation soignée et chargée de sens, mais qui pour moi manque de quelque-chose pour nous embarquer pleinement.