A l'échelle de son réalisateur, c'est un tout petit film que ce Armageddon Time, avec plus de scènes de table qu'autre chose, une reconstitution fragmentée des années 80 entre les fantasmes d'époques et son souvenir fantasmé. Mais si il semble tout petit parce qu'il n'est pas aussi ambitieux et impressionnant, que ses derniers opus Lost City of Z ou plus récemment Ad Astra, il est immense dans le processus qu'il implique. Je pourrais lui reprocher de faire un geste que je déteste : de l'autofiction. Ce geste qui consiste à parler de soi, se regarder le nombril, réfléchir à sa propre histoire et la mettre en scène. Ca pourrait être très énervant si ça ne s'inscrivait pas comme un miroir méta de la filmo de Gray (ses personnages partent loin pour rentrer à la maison, que ce soit Pitt de Neptune à la Terre ou Hunman de l'Amazonie à ses foyer; geste qu'il fait lui même en retournant sur ses racines après avoir visité les grands espaces) et que le film ne possédait pas un si belle palette. Et puis il y a cette épiphanie, se rendre compte que deux des cinéastes américains parmi les plus important (bien que discrets) de leur génération possèdent des motifs croisés aussi forts, se rendre compte, donc, qu'il y a des points communs aussi forts entre James Gray et Richard Linklater. Puisque comme dans "Everybody Wants Some !" le point de départ de l'amitié entre les personnages se fait autour de Rappers Delight de Sugarhill Gang, parce que, comme dans le dernier film du papa de Dazed and Confused, le souvenir du rêve de l'enfance tourne autour de la mission Apollo, du devenir astronaute, de la fusée comme objet de fantasme.
Mais là où les réalisateurs se séparent, c'est dans la manière dont ce souvenir s'exprime. Chez Linklater, le souvenir de l'adolescence est nostalgique et lumineux. Il y a l'envie d'y retourner pour retrouver l'insouciance, la joie, la camaraderie et le cocon familial. L'école est chez lui le lieu de la rébellion et de la joie (l'ouverture de Dazed and Confused avec ses profs bobo, les rencontres universitaires de Boyhood) tandis que dans cet Armageddon Time, l'école est le souvenir de la rigidité, de l'étroitesse d'esprit, du formatage et de l'impression des préjugés. Peut être parce que presque dix ans séparent les cinéastes et que ce sont deux époques différentes (les 70's et les 80's) qui font que le souvenir de Gray est terni par l'image de l'apocalypse, peut être qu'entre les deux s'est produite la fin de l'innocence, mais en tout cas, ce dernier film de Gray choque par un détail : la joie y est quasiment absente, que ce soit dans le regard des personnages, les relations ou dans sa palette chromatique. Il n'en demeure pas moins un excellent film, tendre et naïf, qui tente d'exprimer selon certains les effets des injonctions communautaires sur un enfant des 80's. Qu'il soit encore là pour raconter l'histoire des losers, de ceux chez qui "l'ascenseur social est en panne" ou pour parler de lui, Gray le fait avec finesse et tendresse. Pas le film le plus divertissant de son auteur, mais toujours pas un raté.