As Bestas s'ouvre sur une scène puissante, un ralenti très esthétique qui magnifie la force brute entre homme et cheval et symbolise le conflit à venir. Avec cette ouverture, Rodrigo Sorogoyen pose tout de suite les enjeux de son film, à savoir la lutte qu'elle soit entre les hommes ou entre ces derniers et la nature ; une lutte pour trouver sa place et surtout pour la conserver. C'est une histoire d'inimitié profonde où querelle de voisinage se mêle au clivage culturel, intellectuel et pécuniaire. A travers de ce conflit, c’est aussi un film de lutte des classes, entre ceux qui ont eu le choix d’une vie et ceux qui la subissent. Le film monte lentement en tension à mesure qu’il révèle les dessous de cette rancœur, parfois plus légitimes qu’au premier abord. Car l’intrigue n’est pas manichéenne et celui qui se pare de la supériorité morale n’est pas innocent dans les causes de cette inimitié, souvent arrogant et insultant, égoïste.
Le réalisateur travaille ses compositions avec minutie, avec un vrai jeu entre première plan et arrière-plan, lourd de sens. On peut noter un léger déséquilibre dans le film dû à une caméra au final très fixe : d'une part des plans d'une intensité électrique et d'autres plus plats, ce qui les fait verser dans le superflu. J'ai beaucoup aimé le travail des lumières et en particulier des clairs obscurs que je trouve très authentiques pour représenter le milieu rural et qui renforcent l'immersion. Le charisme et le jeu des acteurs est également un élément fort du film. Le fait de séparer son film en deux temps permet également de faire briller l’ensemble de ses acteurs, hommes et femmes, chacun ayant son espace à tour de rôle. Les scènes de conflit, larvés comme ouverts, prennent à la gorge. Je retiens la scène de partage d'un verre au bar, la frustration face aux autorités impuissantes, ce face-à-face entre Olga et la mère voisine et l'engueulade cruelle entre Olga et sa fille. Cette dernière scène est intéressante car démarrée de manière factice et affectée pour finir plus inspirée et permettre une nouvelle dynamique entre ces deux personnages.
Si on peut voir également dans As Bestas un grand film, c’est dans sa capacité à nous tenir en haleine sur un format aussi long, en travaillant son rythme et sa tension physique et psychologique.