Le film As Bestas prend son sujet - le conflit entre le rural et le néorural - à bras le corps à l'image des hommes qui immobilisent les chevaux au début du film. Olga et Antoine, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un village d’Espagne. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour inciter au repeuplement. Tout irait pour le mieux. Mais un conflit de voisinage sourd depuis que des promoteurs norvégiens sont venus démarcher le village pour y installer des éoliennes. Les Français ont voté contre tandis que la plupart des fermiers y voient une aubaine pour sortir de leur condition. Un jour, le couple découvre que l'eau qui leur sert à irriguer les plants de tomates a été contaminée au plomb. Leurs voisins, deux vieux garçons qui vivent là avec leur mère, ne cessent de les provoquer. Antoine continue pourtant à fréquenter le café du village dans l’espoir de nouer le dialogue. L’alcool aidant, les moqueries des deux frères deviennent des menaces à peine voilées. Inquiet, le Français filme chacune des altercations avec une caméra dissimulée sur lui. Au commissariat, la police fait la sourde oreille. Au cours d'une promenade, Antoine est attaqué par les deux fermiers qui le tuent et dissimulent son corps. Le seul témoin est sa caméra qu'il a allumée et déposé au pied d'un arbre.
Un an après, et tandis que son corps n’a toujours pas été retrouvé, sa femme quadrille inlassablement les environs à la recherche d’un indice. Elle est bientôt rejointe par sa fille qui va tenter de lui faire quitter l'endroit. Mais c’est mal connaître la détermination d'Olga…
Comme dans Madre, son film précédent, Rodrigo Sorogoyen évoque le cas d'une disparition. Mais le film ne se résume pas à une enquête. Les (futurs) coupables sont identifiés dès le début. On assiste, impuissants, à une graduation de leurs méfaits jusqu'à l'irréparable. Ni la police, ni la patience éclairée de leur souffre-douleur ne peuvent changer la donne. La démarche des nouveaux est louable, ils veulent sauver ce monde de sa mort programmée, le soustraire aux pales des éoliennes qui éventrent la terre pour le plus grand profit de quelques-uns. Mais la souffrance de ces laissés-pour-compte est un cran au-dessus de la main tendue. Le sentiment d'indignité est comme la mauvaise odeur. On a beau frotter, ça ne part pas. Il faut un sacrifice pour expier la faute. Le film commence d'ailleurs par une mise à mort.
La seconde partie, après le meurtre d’Antoine, est d’une autre tonalité. On est dans l’après-expiation et cet après postule le retour à une forme de normalité. Olga, la femme d'Antoine, en est la principale dépositaire puisque, contre toute attente, elle va rester vivre à quelques mètres des assassins de son mari et poursuivre l'enquête. Sa fille, vibrante de reproches, va parvenir à la comprendre et à se comprendre elle-même. Les deux frères ne feront rien pour échapper à leur sort et leur mère acceptera d'écouter Olga.
La fin reste ouverte. On ne sait pas si Olga va partir.Mais la trajectoire sacrificielle du film nous donne à voir l'incommensurable distance qui nous sépare désormais de la terre et de son labeur. Le retour est-il encore possible ?