Repéré avec Black Medusa, qu'il a coréalisé, le cinéaste tunisien Youssef Chebbi se lance cette fois en solo avec Ashkal, un faux thriller qui est surtout un constat social sans aménité sur ce que son pays est devenu, plus de 10 ans après la révolution de jasmin, qui avait commencé avec l'immolation de Mohammed Bouazizi. De feu, il en est énormément question dans le film, au-delà de l'enquête de deux policiers sur des corps calcinés, une piste narrative qui est traitée mais qui ne constitue qu'une trame symbolique d'une Tunisie où rien n'a fondamentalement changé depuis la fin du régime de Ben Ali. A ce propos, les décors principaux de Ashkal n'ont pas été choisis au hasard : les Jardins de Carthage, ces résidences pour riches, dont la construction a été interrompues par la révolution et qui devrait reprendre bientôt. Ces lieux bétonnés et déserts sont le théâtre idéal pour que le film, en grande partie nocturne, prenne progressivement des teintes fantastiques. En tous cas, dans cet âge du feu, Youssef Chebbi se montre adepte d'une combustion lente de son intrigue, laquelle aurait pu sans doute gagner en intensité car son rythme est parfois excessivement ralenti par des digressions du récit ou, au contraire, des répétitions inopportunes. Reste tout de même à saluer cette fiction fascinante, audacieuse et riche en atmosphère, et dont le message sera vraisemblablement perçu avec le plus d'acuité par les citoyens tunisiens eux-mêmes.