Time a beau l'avoir inclus dans sa liste des meilleurs films de tous les temps, Pyaasa reste aujourd'hui tout aussi méconnu que son réalisateur/acteur, Guru Dutt. Malgré une carrière éclair à laquelle un destin tragique a brutalement mis fin, ce dernier est aujourd'hui considéré comme l'un des piliers du cinéma bollywoodien et même surnommé le Orson Welles indien. Des louanges en rien galvaudées, et il suffit de regarder Pyaasa pour s'en convaincre.
Dutt partage en effet bien plus qu'une vague ressemblance physique avec Welles. Comme le réalisateur de Citizen Kane, il s'investit corps et âme autant dans la réalisation que l'interprétation, imposant une vision de cinéma aussi esthétique qu'éminemment romantique. Pyaasa éblouit les mirettes de bout en bout avec ses contrastes appuyés, ses mouvements de caméra grandiloquents et ses quelques trouvailles visuelles ingénieuses. Mais il est aussi nourri de nobles idéaux et de convictions politico-sociales portées avec fougue par son auteur. Les nombreuses chansons sont particulièrement éloquentes à cet égard, avec notamment deux morceaux de bravoure qui portent une charge aussi virulente que courageuse aux fondements même de la société indienne, et fustigent pêle-mêle l'injustice sociale, l'hypocrisie, le traitement fait aux femmes ou encore la toute puissance de la roupie.
Malgré ses quelques instants de légèreté en compagnie d'un masseur un poil lourdingue et ses sommets d'onirisme (magnifique scène de danse entre Vijay et Meena), Pyaasa a donc surtout la saveur d'un coup de poing désabusé, à la limite de la misanthropie. Et même si en contrepartie quelques clichés dramatiques horripilants viennent ternir le tableau, ce film qui doit autant à l'expressionisme qu'au néo-réalisme et à la vision d'un réalisateur amoureux fou de cinéma, n'a pas volé sa place au panthéon bollywoodien.