Une double découverte : le cinéaste indien Guru Dutt et le film "L'assoiffé"
Le film sorti en Inde en 1957 n'est distribué en France qu'en 1985. Le cinéaste s'est suicidé à 39 ans en 1964. Sa découverte en France est largement posthume. Guru Dutt est considéré en Inde comme un grand cinéaste des années 50 mais aussi comme un artiste maudit et incompris.
Le film est d'ailleurs l'histoire de Vijay, un poète maudit qu'il semble nécessaire d'associer avec la vie de Guru Dutt, lui-même. C'est Guru Dutt qui interprète le rôle de ce poète maudit en mal de reconnaissance. Sa poésie pessimiste et très critique sur la société indienne qu'il trouve dépravée ou uniquement préoccupée par l'argent, ne plait pas. Tous l'abandonnent peu à peu : sa petite amie, Meena, du temps où il était étudiant, qui a préféré l'argent et le confort, sa famille qui le considère comme un parasite inutile, ses amis qui préfèrent une poésie plus légère et doutent de son talent.
Seule, Gulab, une prostituée l'admire intensément, ce qui n'est pas suffisant pour l'empêcher de sombrer dans le désespoir.
Spoiler : Après le suicide de Vijay, elle paiera la publication du recueil de poésies qui connaitra un immense succès provoquant bien entendu le revirement de tous ceux qui l'avaient abandonné, se considérant évidemment ayant-droit du poète disparu …
Spoiler : En fait, suite à un quiproquo, Vijay n'est pas mort. Lorsqu'il revient et se rend compte de l'écœurante duplicité de ceux qui l'avaient abandonné, il décide de quitter cette société et part avec Gulab …
C'est un film d'une grande noirceur qui décrit un personnage humaniste, "assoiffé" de reconnaissance et d'amour qui est constamment déçu par ses semblables. Il y a un indéniable aspect christique dans le personnage de Vijay. D'abord, il porte sur lui toute la misère humaine dans ses poèmes où il se lamente de la perte de valeurs de la société qui est cruelle et corrompue. Lorsqu'il réapparait à la fin du film devant la foule, il est baigné par une lumière en arrière-plan qui n'offre guère d'équivoque …
La mise en scène est remarquable pour souligner certains aspects mélodramatiques. Les gros plans des visages, en particulier des yeux des deux personnages féminins Meena (l'ancienne petite amie) et surtout Golub sur lesquels la caméra s'attarde complaisamment. Il y a aussi la scène d'un spectacle de danse d'une prostituée vu à travers une image trouble comme si la vision de Vijay, outré par le spectacle dégradant, était empêchée par ses larmes.
La musique et les chansons accompagnent bien les différentes scènes et accentue aussi les effets dramatiques. On trouvera sûrement la musique et les voix un tantinet sirupeuses, voire même entêtantes. Mais n'oublions pas qu'on est en Orient et personnellement, je ne crains pas du tout. En particulier, la première apparition de Golub, la prostituée, chantant un poème de Vijay, est sublime.
Pour finir, c'est un film curieux et intéressant qui mérite le détour même s'il est très long (presque 2 h 30) …
Je commenterai d'ici quelque temps un deuxième film de ce réalisateur