The Grand Budapest Hotel ; L’île aux chiens ; Moonrise Kingdom : Anderson y articule son intrigue avec le cadre spatial qui s’avère lui-même partie prenante du récit. Asteroid City ancre l’intrigue au sein d’un cadre urbain connecté avec le cosmos. Deux paradoxes apparaissent. L’un concerne la nature même de ces espaces : si la ville est apprivoisée par l’Homme, le cosmos demeure énigmatique pour un grand nombre de quidams. L’autre concerne l’ambivalence du cosmos : énigmatique certes, mais aussi objet d’études scientifiques. Asteroid City : un titre entre science-fiction et rationalité, bref, la promesse d’un film déjanté qui interroge le rapport de l’Homme à ses connaissances et failles.
Le film est la progéniture d’un Anderson inspiré par la pandémie et la quête de sens qu’a alors entrepris tout un chacun. C’est une œuvre mélancolique, qui interroge le sens de tout ce avec quoi nous avons l’habitude de vivre : le sens des ordres, le sens de la vie terrestre et extra-terrestre, et le sens de la créativité et de l’art dans tout cela. Le film est irrigué par la science, qui n’est autre que la prétention de l’Homme à pouvoir comprendre et expliquer le monde, autrement dit : le besoin pour l’Homme de trouver un sens à ce qui l’entoure. Car c’est bien la quête de sens qui charpente le récit et qui s’impose en leitmotiv narratif et visuel.
Narratif, d’abord. Les personnages d’Anderson sont toujours des paumés, des mal-aimés, des excentriques, des mélancoliques qui peinent à trouver du sens à leur existence. Et pour les saisir dans toute leur fragilité, le récit se concentre sur un tronçon de leur vie où règne l’absurde : un séjour éphémère dans une ville au milieu du désert qui rassemble curieux et scientifiques pour une conférence d’astronomes, l’irruption d’un alien qui vole l’astéroïde qui s’était écrasé sur les lieux… et aux autorités d’ordonner une quarantaine. Les personnages s’interrogent : pourquoi obéissons-nous, sommes-nous heureux (non, donc pourquoi, puis comment le devenir…) etc. Anderson ne répond pas aux questions, il les soulève. Lorsqu’une vieille femme les appelle « princesses », des petites filles rétorquent qu’elles sont plutôt des vampires et des sorcières. Simple fantasme d’enfant qui interroge néanmoins le regard que porte l’adulte sur l’enfant et toutes les certitudes erronées qu’il projette sur les gamins. Chez Anderson, c’est d’ailleurs souvent l’enfant qui soulève les questions auxquelles l’adulte tente de répondre. Asteroid City oscille entre l’instabilité de l’Homme en quête de sens et de connaissance de soi et la maîtrise qu’il essaie d’exercer sur le monde qui l’entoure.
Visuelle, aussi. Car toute la douceur du film résulte de la sublimation par une esthétique solaire des questionnements existentiels désagréables qui tourmentent les personnages. L’esthétique lumineuse évoque la lucidité des personnages quant à l’absurdité de leur existence. Mais toute cette clarté incarne aussi l’illusion que cette existence est déchiffrable. Un film baigné de lumière personnifie la volonté de percer une énigme. Ce avec quoi contraste le sombre cosmos et tout le mystère qui l’enveloppe. Un clair-obscur donc, qui suggère que la conscience d’être paumé et la volonté d’y remédier s’accompagnent inexorablement d’une souffrance macabre. Anderson affirme : le sens de l’existence, c’est justement d’en trouver le sens. Esthétiquement, cela se traduit par une plastique rigide impliquant symétrie, travellings impeccables.
Seule la création artistique semble être une parade à cette absurdité. « Je suis photographe » affirme le veuf : peu importe ce qu’il photographie, le fait même de photographier donc de créer justifie son geste. Un comédien demande au metteur en scène, au beau milieu de l’intrigue dont il saisit mal le sens : pourquoi fait-on ça ? Qu’est-ce que cela signifie ? Et au metteur en scène de répondre : mais peu importe, joue, raconte l’histoire ! Manière de dire, peut-être, que la création artistique confère intrinsèquement du sens à l’existence.
Si le spectateur a l’impression d’être resté sur sa faim, c’est parce qu’il ne comprend pas que les questions soulevées par Anderson ne peuvent être résolues le temps d’un film. Asteroid City traduit une résignation à accepter la part de non-sens de notre vie, si toutefois nous en avons conscience. Les personnages retournent à la case départ, quittant un à un Asteroid City après s’y être rendus un à un au début du film. Le générique défile au-dessus d’un oiseau rigolo se dandinant sur la route au son du country. Le sourire se lit sur les visages des spectateurs, bien que le sujet profond du film ne soit pas de toute gaieté. Une comédie douce-amère qui érige l’art au rang du meilleur remède contre la mélancolie chronique.