La justice restaurative sert de matière première à Je verrai toujours vos visages dont tous les ingrédients servent une démarche pédagogique consistant à prendre le spectateur par la main pour que rien de cette justice ne lui soit désormais étranger. Le point fort du film est ainsi un défi humain, relevé grâce à la dimension éducative du film ainsi que la perméabilité des frontières entre le bien et le mal que permettent les dialogues, et qui autorise le spectateur à s’identifier à chacun des personnages. L’ambition est la suivante : que la structure du film épouse les exigences du sujet.
La caméra se meut conformément aux exigences de la justice restaurative, qui consiste aussi bien à parler qu’à écouter. Dès lors, Jeanne Herry prend soin de ne pas isoler un personnage prenant la parole mais préfère les plans larges qui incluent les personnages à l’écoute. C’est là que l’option du cinéma prend son sens : un sujet aussi verbal que celui de Je verrai toujours vos visages se prête en effet tout aussi bien au théâtre, et le triomphe du cinéma muet rappelle au cinéma parlant que l’usage de la parole n’est pas indispensable à un bon film. La réalisatrice doit alors convaincre le spectateur que le support choisi enrichit le sujet abordé. Au théâtre, le spectateur a les yeux rivés vers le comédien qui récite sa réplique, or en centrant l’attention de la caméra sur le personnage qui écoute sans ouvrir la bouche, le spectateur n’a d’autre choix que d’y prêter attention également.
Mais le risque d’une telle narration est de virer en un documentaire romancé. Lorsque l’intrigue s’oriente vers la vie personnelle des encadrants de la justice restaurative, elle s’alourdit. Ces scènes d’un moindre intérêt, lors desquelles les personnages déblatèrent des banalités, révèlent la peine avec laquelle le film s’affranchit du sujet principal. Comme si la réalisatrice souhaitait aérer une intrigue douloureuse voire violente. Le film a les défauts de ses qualités : face à la volonté de ne négliger aucun acteur de cette justice, à celle de mettre à nu tous les personnages que le spectateur rencontre à l’écran, donc en un mot à s’avérer une œuvre très humaine à l’instar de l’ambition de la justice restaurative, le film se cantonne parfois trop à l’instructif.
Car, en effet, explorer l’être humain est aussi une des ambitions du film, dont le dénouement laisse toutefois perplexe. L’opposition classique bien/mal est clairement établie dès le début du film : les voyous, les détenus face aux victimes meurtries. Il s’agira donc tout au long du film de perméabiliser les frontières entre ces deux repères, mais au profit d’un profond déséquilibre : parole est donnée aux serviteurs du mal pour justifier leurs méfaits et se repentir, tandis que les serviteurs du bien (malgré eux, car l’on n’est jamais victime par choix) expriment une colère légitime et discernent à leur tour le bien dans la personne des agresseurs. Le bien finit alors par triompher. À vouloir faire entendre qu’en chacun réside bienveillance et compassion, un dialogue mièvre voire simpliste supplante l’intéressant projet de déchiffrer l’autre. La peine avec laquelle le film s’est démené à (ré)apprendre au spectateur, en même temps que chacun des personnages, à connaître ses semblables et à ne pas les juger trop hâtivement, se trouve gâchée par une fin à laquelle personne ne croit vraiment et qui dit : au fond, chacun est bon. Le noble dessein de creuser chaque personnage se retrouve comme anéanti par une morale trop manichéenne. Je verrai toujours vos vies sages, c’est ce que semblent dire les victimes aux délinquants à l’issue d’échanges cathartiques dont résulte une mansuétude trop caricaturale pour convaincre pleinement.